Afrique - Le continent africain exempt d'armes nucléaires
Le 11 avril 1996, la quasi-totalité des pays africains ont signé au Caire le traité créant une zone exempte d’armes nucléaires sur leur continent, dit traité de Pelindaba, du nom de la ville sud-africaine où siège la South African’s Atomic Energy Corporation, et surtout où le groupe conjoint des experts des Nations unies et de l’Organisation de l’unité africaine a mis au point, le 2 juin 1995, le texte de ce traité.
Ce traité régional, qui interdit toute présence d’armes atomiques, ou toute activité nucléaire militaire sur le continent, sans exclure le développement du nucléaire civil, est le cinquième du genre dans le monde. Il a été en effet précédé du traité de l’Antarctique signé à Washington en 1959 et entré en vigueur le 23 juin 1961, du traité de Tlatelolco signé en 1967 à Mexico, ratifié par 29 pays, et qui couvre l’Amérique latine, du traité de Rarotonga signé en 1985 et entré en vigueur en 1986 dans la région du Pacifique Sud (il a été signé par la France le 25 mars 1996 aussitôt après la fin de ses essais nucléaires), le traité de Bangkok signé par les pays du Sud-Est asiatique en décembre 1995.
Tous les pays africains sauf quatre ont signé au Caire le traité de Pelindaba. Madagascar et les Seychelles n’ont pas signé « pour des raisons techniques ». La Somalie et le Liberia, ravagés par la guerre, se sont engagés à le signer ultérieurement. Le Maroc, qui a quitté l’OUA en 1984 à la suite de l’admission de la République arabe sahraouie démocratique, a tout de même apposé sa signature. La France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine ont également souscrit aux parties du traité engageant les puissances nucléaires à ne pas utiliser ou menacer d’utiliser l’arme atomique contre les parties associées au traité, à ne pas introduire d’armes nucléaires sur le continent et à ne pas y procéder à des essais atomiques.
La Russie est le seul des cinq Grands à avoir refusé de signer, motivant sa décision par la présence militaire américaine dans l’océan Indien, sur la base de Diego Garcia, territoire britannique, qui selon les déclarations américaines et britanniques n’est pas concerné par le traité de Pelindaba.
Enfin, il faut noter que l’Égypte, malgré son important différend avec Israël, possesseur d’une capacité atomique militaire non officiellement déclarée, a signé ce traité qui l’engage à rester non nucléaire, l’appelant à rejoindre le traité de non-prolifération (signé aujourd’hui par tous les pays africains sauf l’Angola !) et à établir avec ses voisins arabes un traité comparable définissant une zone exempte d’armes nucléaires au Proche-Orient.
Le texte du traité comporte vingt-deux articles et prévoit que les États concernés renoncent à toute activité de recherche et de fabrication de systèmes atomiques militaires (article 3), interdit le stationnement sur leur territoire de tels systèmes (article 4), qu’ils ne procèdent à aucun essai sur leur territoire ou ailleurs (article 5), qu’ils déclarent et détruisent toute capacité atomique militaire existante (article 6), qu’ils interdisent la circulation ou le dépôt sur le continent de déchets nucléaires (article 7). L’article 9 prévoit un contrôle par l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) basée à Vienne de toute activité nucléaire civile autorisée par l’article 8 du traité. L’annexe III du texte prévoit la mise en place d’une Commission africaine pour l’énergie nucléaire : une controverse existe entre certains États membres sur l’idée de créer cette commission au sein de l’OUA, les uns plaidant pour cette hypothèse, les autres préférant, pour des raisons techniques ou politiques, le rattachement à l’Onu. Le protocole II du traité concerne les engagements des cinq puissances nucléaires. Le protocole III, ouvert à la signature de la France et de l’Espagne, concerne les engagements à respecter les dispositions du traité de la part des pays ayant, de jure ou de facto, le contrôle de territoires situés dans la zone couverte.
Ce cinquième traité régional de dénucléarisation est une étape importante du processus de développement des efforts de désarmement déployés depuis la fin de la guerre froide. Le récent renforcement du traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), les engagements pris par quatre des cinq puissances atomiques (à l’exception de la Chine) ou ce qui concerne l’arrêt des essais, le fait que celles-ci ont multiplié ces dernières années leurs signatures sur ces cinq traités régionaux, les négociations avancées en cours à Genève pour le projet de traité interdisant tous les essais nucléaires, sont autant d’éléments nouveaux qui contribuent de manière significative à restreindre l’extension de la tentation nucléaire dans une grande majorité d’États dans le monde. Certes ces projets ne résolvent pas de manière satisfaisante le risque de prolifération nucléaire, comme le prouvent les cas difficiles de l’Inde, du Pakistan, d’Israël, de l’Irak ou de l’Iran, mais ils constituent indéniablement une avancée encourageante. L’histoire de ce traité de dénucléarisation de l’Afrique illustre d’ailleurs parfaitement l’ampleur des progrès accomplis ces dernières années.
La mobilisation antinucléaire des États africains, ou plutôt de certains d’entre eux, avait en effet commencé dès 1959. Elle visait évidemment, à l’époque, des grandes puissances et leurs campagnes d’essais, et tout particulièrement la France qui se préparait à procéder à ses premiers essais au Sahara (le premier eut lieu le 13 février 1960). La première résolution des Nations unies demandant que l’Afrique soit dénucléarisée date du 24 novembre 1961. La conférence au sommet des États indépendants d’Afrique, qui s’était tenue à Addis-Abéba en mai 1963, avait adopté une résolution appelant à la création d’une zone dénucléarisée sur le continent. La première conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA, au Caire en juillet 1964, adoptait une déclaration solennelle sur la dénucléarisation de l’Afrique. Diplomatiquement faibles, divisés entre eux en raison des liens étroits que beaucoup d’entre eux entretiennent avec les puissances nucléaires, les pays africains avaient alors peu d’espoir de voir aboutir ces revendications.
Dans les années 70 pourtant, ces efforts ont redoublé d’intensité en raison de l’important programme atomique développé par l’Afrique du Sud. La mobilisation contre l’apartheid devenait de fait de plus en plus forte au sein de la communauté internationale, et permettait ainsi à de nombreux pays africains de relancer, en les dirigeant avec succès contre l’Afrique du Sud, leurs appels à la dénucléarisation du continent. Les résolutions, les mesures d’embargo et les condamnations diverses du programme nucléaire sud-africain furent alors innombrables et fort populaires, même si concrètement elles restèrent vaines. En 1990, en tout cas, fut créé par les Nations unies un groupe d’experts chargé d’élaborer un projet de traité de dénucléarisation du continent.
Parallèlement, la situation en Afrique du Sud allait rapidement évoluer. Celle-ci allait en effet signer le TNP, accepter les contrôles de l’AIEA, révéler qu’elle possédait six armes atomiques… et les détruire. L’abolition de l’apartheid, la paix entre ce pays et ses voisins, l’instauration d’un régime démocratique lui permettaient de mettre en place une nouvelle politique étrangère et de jouer un rôle moteur dans l’élaboration de ce projet de traité achevé à son initiative en 1995, à un moment où, par ailleurs, le contexte international dans le domaine du désarmement nucléaire pouvait justement favoriser sa ratification, y compris par quatre des cinq puissances nucléaires.
La signature par les États-Unis du traité de Pelindaba montre bien l’importance de cette dynamique nouvelle : c’est après de fortes hésitations que Washington a finalement signé le traité au Caire le 11 avril. Un débat au sein de l’Administration américaine opposait en effet ceux qui estimaient que cette signature était symboliquement importante à ceux qui avançaient l’argument qu’un engagement américain en la matière rendrait impossible l’utilisation de la menace d’une attaque nucléaire contre la Libye si ce pays se trouvait en situation de vouloir utiliser des armes chimiques. ♦