Gendarmerie - Gendarmerie et environnement : les « Free »
« Particulièrement destinée à la sûreté des campagnes et des voies de communication » selon l’article premier du décret du 20 mai 1903 qui définit, aujourd’hui encore, son organisation et son service, la gendarmerie est, par essence, une force rurale de police (et non de police rurale), profondément enracinée dans ces innombrables terroirs et pays constitutifs de cette France bigarrée et plurielle dépeinte par Fernand Braudel. Définie dans un récent rapport comme indispensable à la police de la nature (1), la gendarmerie est, en effet, présente, grâce au « maillage » réalisé par ses 3 640 brigades, sur la quasi-totalité du territoire national. Parce qu’il est amené, au quotidien, à évoluer au plus près de la nature, des forêts, des rivières et des sentiers, le gendarme se trouve, presque naturellement, engagé dans la protection de l’environnement.
Bien que la gendarmerie n’ait pas attendu la prise de conscience publique depuis le début des années 70 des problèmes de pollution et de leur inscription sur l’agenda politique pour se consacrer à la nécessaire préservation du cadre de vie, cette mission traditionnelle du gendarme n’en est pas moins devenue une préoccupation majeure ces dernières années. Ainsi le nombre des procédures pour délit ou contravention se rapportant à l’environnement, après avoir connu une certaine stagnation dans les années 80, a pratiquement été multiplié par deux entre 1988 et 1994 (2). L’année dernière, les gendarmes ont constaté pas moins de 7 458 délits et 59 867 contraventions, ce qui représente plus des deux tiers des atteintes à l’environnement enregistrées. Pour mener à bien ce type de mission, la gendarmerie dispose d’un ensemble de moyens spécifiques : véhicules tout chemin, vélos et motos tout-terrain, chevaux, moyens nautiques et aériens, équipements de protection (combinaisons, masques à gaz…), mallettes de prélèvements…
Au-delà de cette progression constante de la police de la nature que traduisent ces statistiques, même si elles ne rendent compte que du volet répressif de l’activité déployée, ainsi que les attributions de moyens adaptés, l’autre élément caractéristique de la montée en puissance de cette activité dans le service de la gendarmerie réside dans la mise en place de structures spécialisées. Nous ne retiendrons que deux grandes étapes. 1976 : réalisation d’un mémento « nuisances » (devenu, en 1986, « nature et environnement ») distribué dans l’ensemble des brigades et qui recense, de manière thématique, les 684 catégories d’infractions se rapportant au cadre de vie ; ce document, mis à jour en permanence (et qui a été entièrement refondu au début de l’année 1995), a très largement contribué à sensibiliser les personnels à la diversité et à la complexité de la réglementation concernant les pollutions, le bruit, les déchets, les fraudes alimentaires, le trafic d’anabolisants… ; 1992 : création d’une section « environnement » auprès du bureau « police judiciaire » de la direction générale de la gendarmerie, insertion du droit de l’environnement dans la formation des personnels (notamment dans la formation initiale des élèves gendarmes et dans la formation continue des officiers) et mise en place au sein des unités de « formateurs relais environnement-écologie » « Free ».
Organisés au Centre national de formation de police judiciaire (CNFPJ) de Fontainebleau, les stages de formation des « Free » s’adressent à des sous-officiers volontaires (25 stagiaires en 1993, 49 en 1994, 75 en 1995 et 62 en 1996), cette formation initiale, d’une durée de trois semaines, étant complétée, depuis l’année dernière, par un enseignement particulier dans le domaine nucléaire et des risques majeurs dispensé à l’École de défense nucléaire bactériologique et chimique de l’armée de terre (Bretteville-sur-Odon). L’objectif de la gendarmerie est, à terme, de disposer de deux « Free » par groupement de gendarmerie départementale (échelon du département). Leurs attributions concernent trois domaines principaux : la sensibilisation des personnels à la nécessité d’intensifier leur action, à la fois préventive et répressive, dans la protection de l’environnement, au moyen des séances d’instruction collective, de réunions et de stages, au cours desquels sont notamment abordées ou rappelées les principales dispositions du droit de l’environnement ; l’aide et l’assistance des unités à l’occasion des enquêtes de police judiciaire, qu’il s’agisse de donner un avis sur certaines méthodes de prélèvements ou de prises de mesures ou d’échantillons, ou bien encore de faciliter les relations entre les enquêteurs et les différentes administrations spécialisées ; la liaison avec les autres services chargés de la protection de la nature (services déconcentrés du ministère de l’Environnement, ONF, ONC, DDE, DDASS…) (3), avec les élus locaux et avec les associations agréées de défense de l’environnement.
À l’instar des « formateurs relais antidrogue » (« Frad »), les « Free » sont appelés à devenir les interlocuteurs privilégiés de la gendarmerie dans des domaines (lutte contre la toxicomanie et protection de l’environnement) dont l’importance n’est plus à souligner. Pour autant, il convient d’observer que ces sous-officiers, qui ne sont pas détachés de leur unité respective pour effectuer cette tâche de formateur relais, doivent consentir à un investissement supplémentaire, tant personnel que matériel, qu’il s’agisse bien évidemment d’exercer les attributions qui leur sont confiées, mais aussi de se tenir constamment au courant de l’évolution des connaissances, de la réflexion et de la réglementation. C’est dire combien le système des « Free » repose, en grande partie, sur la mobilisation de personnels qui, loin de n’être que des représentants de l’ordre chargés de la police de l’environnement, apparaissent aussi comme d’authentiques militants de la protection de la nature, en somme comme des « gendarmes verts » ou des « écogendarmes » dont la mission est avant tout d’informer, de sensibiliser et de conseiller, mais aussi d’agir, de prévenir et de réprimer, de lutter contre des nuisances de nature, d’intensité et de dangerosité différentes, allant du dépôt sauvage d’ordures au trafic international de déchets hospitaliers, en passant par le braconnage et la pollution des nappes phréatiques par l’épandage ou l’abandon de fûts toxiques. ♦
(1) Rapport du préfet Pierre Blondel à Mme le ministre de l’Environnement sur la police de la nature, juillet 1992.
(2) 3 840 délits et 34 784 contraventions en 1988 ; 7 400 délits et 67 691 en 1994.
(3) Pas moins d’une soixantaine de catégories d’agents publics disposent de compétences concernant la protection de l’environnement (policiers, douaniers, gardes-pêches, ingénieurs du génie rural, des eaux et forêts, gardes des parcs nationaux et des réserves naturelles…), soit pas moins de 11 ministères et 72 organismes à caractère interministériel.