Marine - Professionnalisation et rationalisation
La loi de programmation militaire 1997-2002, adoptée au printemps de 1996, prévoit pour la marine une réduction de son format qui devrait se stabiliser à environ 80 bâtiments. Pour ce qui concerne les effectifs, elle prend en compte la suppression du service militaire et l’instauration d’un volontariat permettant à de jeunes Français d’effectuer un service d’une durée variable, non encore définitivement fixée.
Au total, les effectifs des militaires de carrière et sous contrat varient assez peu sur la période ; ils sont caractérisés par une légère augmentation du nombre d’officiers (+117), et une diminution de 7 % du nombre d’officiers mariniers, réalisée de manière progressive sur la durée d’exécution de la loi, à un rythme de déflation comparable à celui qu’a connu la marine ces dernières années. Le nombre de quartiers-maîtres reste quant à lui sensiblement constant.
Le phénomène majeur est, bien entendu, la disparition des 17 900 appelés actuellement encore employés dans toutes les unités de la marine, aussi bien à terre qu’à la mer, dans des unités opérationnelles ou de soutien. C’est dire que c’est bien l’ensemble de la marine qui est concerné directement par cette importante évolution, que son ampleur permet de qualifier sans exagération de véritable révolution. Il est prévu que la décroissance du nombre des appelés se fasse progressivement, au rythme de 3 200 suppressions de postes chacune des cinq premières années, la sixième voyant la disparition des 1 900 derniers emplois subsistant encore.
Simultanément, le nombre de civils de la défense employés par la marine va croître de manière considérable, puisqu’il sera presque doublé avec la création de 5 100 postes supplémentaires, correspondant d’une part au remplacement d’une grande partie des appelés, et d’autre part au transfert de plusieurs centaines d’emplois jusqu’ici occupés par des militaires.
Cette orientation nouvelle s’inscrit dans le long terme, et répond à plusieurs préoccupations. La ressource humaine, de plus en plus rare et chère, doit être employée au mieux de ses spécificités : les militaires au service des armes et dans les secteurs d’activité où leurs compétences propres, leur disponibilité, sont indispensables pour répondre au besoin ; les civils dans les emplois de soutien qui correspondent à leurs qualifications (généralement acquises en dehors de la marine, donc moins coûteuses en formation), et à leur expérience, mise en valeur par une plus grande stabilité d’affectation.
Par ailleurs, si les emplois les moins qualifiés, occupés aujourd’hui par des appelés, étaient tous transférés à de jeunes engagés, ceux-ci les occuperaient en début de carrière pendant des durées peu compatibles avec le maintien d’un niveau élevé de motivation ; quant à créer des spécialités propres à l’exercice de ces activités, cette solution ne permettrait pas d’offrir des profils de carrière raisonnables au personnel qui s’y engagerait. Pour cette raison, elle n’a été retenue qu’à bord des bâtiments, où l’état militaire est une nécessité.
La professionnalisation a fait l’objet d’études approfondies à l’échelon central de la marine, commencées dès 1993, et reprises sous l’égide du comité stratégique. Il en est résulté un tableau de transfert définissant pour chacune des spécialités d’appelés, à terre ou à la mer, l’équivalent à rechercher en personnel professionnel, civil ou militaire. La totalité des plans d’armement des unités de la marine doit ainsi être modifiée par l’état-major de la marine, avec l’aide des autorités territoriales et organiques. Cette opération se traduira à terme par une réduction d’effectifs de l’ordre de 4 400 postes, car les appelés, renouvelés très fréquemment, moins formés et moins expérimentés, n’ont pas à être remplacés nombre pour nombre par du personnel de métier.
Les modalités retenues pour mettre en place la professionnalisation s’appuient sur les principes évoqués précédemment :
— sur les bâtiments, et dans les spécialités ouvrant des perspectives de carrière, c’est-à-dire celles du personnel d’active (mécanicien, détecteur, manœuvrier, etc.), les appelés sont remplacés par des engagés de longue durée ; dans les autres spécialités (personnel de restauration, chauffeur, personnel de pont d’envol, matelot d’équipage, buandier…), il est fait appel à des engagés de courte durée, auxquels est accordé un lien de deux ans non renouvelable, qui n’ont pas vocation à effectuer une carrière dans la marine ;
– dans certaines unités navigantes qui ne sont normalement pas destinées à être déployées en opération d’action extérieure, les appelés sont remplacés par des volontaires du service militaire rénové, qui serviront pour une durée probable d’environ un an ; un millier de volontaires seront embarqués sur des bâtiments outre-mer ou en métropole, tandis que huit cents autres serviront à terre ;
— dans les unités à terre, les appelés sont remplacés en priorité par du personnel civil ; il n’est fait dans ce cas appel à des marins que là où l’exigence de disponibilité ou le caractère opérationnel des emplois impose le statut militaire.
Les appelés occupant des emplois de haut niveau constituent un cas particulier. La marine utilise aujourd’hui près de cinq cents officiers du service national comme chef de quart à bord des bâtiments, officier mécanicien, interprète dans les états-majors, aide de camp d’autorité, etc., et environ huit cents appelés non officiers dans des emplois de haute qualification : scientifique, informaticien, enseignant. Ce personnel devra être remplacé, au moins en partie, par des officiers, et par du personnel civil. Il est envisagé en outre de continuer à accueillir, au titre du volontariat, les jeunes officiers de la marine marchande qui souhaiteront exercer des fonctions de chef de quart dans la marine à l’issue de leur formation en école. Ainsi seront préservées les relations étroites qui doivent se perpétuer entre marine nationale et marine de commerce, garantes d’efficacité lorsque des actions communes doivent être entreprises.
Le processus de la professionnalisation est organisé de manière à garantir la permanence et l’efficacité des moyens opérationnels ; la priorité a donc été donnée aux forces de projection de puissance (porte-avions, bâtiments d’escorte et de soutien, transports de chalands de débarquement, sous-marins d’attaque et formations de l’aéronautique navale), qui seront entièrement professionnalisées. Les autres bâtiments, dont les SNLE, ainsi que certaines unités à terre, recevront des volontaires.
En même temps que sera mise en œuvre la professionnalisation, 513 emplois actuellement occupés par des officiers, des officiers mariniers et des quartiers-maîtres, mais qui n’ont aucune spécificité militaire, seront transférés à des civils pour la durée de la loi. Ce processus, indépendant de la professionnalisation et communément qualifié de « rationalisation des emplois », sera conduit avec la plus grande attention, et de manière très progressive, de telle sorte que les déroulements de carrière du personnel militaire concerné ne soient pas affectés. Il est prévu qu’un certain nombre des emplois ainsi libérés puissent être attribués à d’anciens militaires au titre de la loi 70.2.
La réalisation de la professionnalisation et de la rationalisation repose sur le recrutement annuel d’environ un millier de civils, qui proviendront en priorité de la direction des constructions navales, par un transfert du personnel en sureffectif dans celle-ci vers les postes créés dans les unités professionnalisées. Ce choix rend plus complexe l’exécution de la professionnalisation, en raison des problèmes d’adéquation des emplois offerts à la ressource disponible, et de la plus grande difficulté à maîtriser le calendrier de l’opération. Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement qu’il est de l’intérêt bien compris de la marine comme de la DCN que ces transferts se déroulent rapidement et dans les meilleures conditions possibles, les sureffectifs actuels n’étant pas sans conséquences sur les coûts des programmes financés par le budget de la marine.
Les mouvements de personnel engendrés par la mise en œuvre de la loi de programmation toucheront à un titre ou à un autre l’ensemble des unités de la marine. Ils sont complexes à organiser, d’autant plus qu’ils sont liés à des restructurations correspondant à la réduction concomitante du format de la marine, qui auront des implications sur l’organisation et le fonctionnement d’un grand nombre de formations, et que tous les paramètres de leur réalisation ne sont pas maîtrisés par la marine.
La marine nationale va pratiquement doubler ses effectifs en personnel civil ; cette évolution, certes importante, doit être envisagée sans appréhension ; déjà plus de six mille civils sont employés par la marine, notamment dans les services (commissariat, travaux maritimes…), et les deux communautés, qui ont l’habitude de travailler ensemble, sauront trouver les adaptations qui se révéleraient nécessaires pour le bien du service. Les années qui viennent seront consacrées à développer des relations d’estime mutuelle ; disposer dans la marine d’un plus grand nombre de civils ne peut que renforcer nos liens avec la société civile, alors que disparaît la conscription. ♦