Un univers fini dont l'accouchement se fait dans la douleur, des inégalités et des tensions croissantes, une course aux armements stratégiques qui ne ralentit pas : le monde est non seulement malheureux mais dangereux. Or, c'est dans un état de faiblesse inquiétant que l'Europe aborde une période de son histoire qui risque fort d'être dramatique.
Les fissures de la paix
En 1975 sera célébré le trentième anniversaire de l’armistice qui mit fin à une guerre terrible. Trente ans de paix globale : pourquoi ? Une raison nécessaire : ceux qui ont les moyens de faire une guerre mondiale — les super-grands — avaient la certitude que, dans le conflit, ils perdraient davantage qu’ils ne risquaient de gagner ; ils pouvaient battre l’adversaire mais seulement en l’anéantissant ; la victoire était donc possible, mais pour un gain nul, avec des pertes certaines et immenses. Une raison suffisante : ces super-puissances avaient les moyens d’exercer dans les tensions locales des pressions telles que les conflits ne s’élargissaient pas. Ces deux facteurs ont valu trente ans de paix à l’Europe. Mais dans ce bel équilibre de la terreur, des fêlures aujourd’hui apparaissent.
De l’équilibre de la terreur à la terreur du déséquilibre
1973 aura connu en effet l’apogée du condominium de la terreur réciproque. Ni Soviétiques ni Américains ne pouvaient être assurés, par une première frappe, de priver l’autre d’une capacité significative de représailles — c’est-à-dire de sa capacité de riposter en détruisant totalement l’agresseur. Chacun des super-grands détenait donc sur l’autre une assurance de non-agression. Par alliés ou protégés interposés, ils risquaient cependant d’être entraînés dans un conflit que, par hypothèse, ils n’auraient pas désiré. C’est pour l’éviter que fut conclu l’accord du 22 juin 1973 sur la prévention de la guerre nucléaire, magistralement appliqué pendant la guerre du Kippour.
L’accord signé à Vladivostok le 24 novembre dernier est présenté comme une prolongation de cette heureuse situation ; en fait, il en constate le terme. L’accord octroie à chaque partie 12 000 points d’impact nucléaire environ (1). Ces chiffres ne sont pas beaucoup plus effrayants que ceux des accords SALT I, mais les progrès de la technologie leur confèrent une nouvelle dimension qualitative. Les ICBM (missiles balistiques intercontinentaux) sont sur le point d’acquérir, en effet, une puissance à laquelle aucun silo protecteur ne saurait résister (par exemple le SSX 18 soviétique) et une précision indiscutable (le rayon du « cercle d’incertitude » de l’impact des ICBM américains est réduit à moins de cinq cents mètres). Horresco referens : les ICBM ne sont plus en sûreté. Une agression peut détruire avec une très forte probabilité tous les ICBM de l’agressé.
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