Les menaces qui affectent aujourd’hui la sécurité des États et des sociétés sont à replacer dans le cadre de nouveaux enjeux qui encadrent l’action des services de renseignement : la doctrine du libéralisme, la privatisation du renseignement, la révolution de l’information ouverte, tous facteurs qu’on aborde en France de façon très centralisée.
Les services spéciaux face aux « nouvelles menaces » de la société ouverte
Special Services in the Face of “New Threats” of an Open Society
The threats which currently affect the security of states and societies should be seen in the context of the new stakes that frame the action of intelligence services: the doctrine of liberalism, the privatization of intelligence, and the open information revolution, all factors that are addressed in France in a very centralized fashion.
Entendues de façon traditionnelle, les « nouvelles menaces » sont des formes inédites d’atteintes à la sécurité des États et des sociétés. D’origines généralement non étatiques, la cybercriminalité, le crime organisé ou le terrorisme jihadiste concernent au premier chef les « services de renseignement » qui doivent prévenir, anticiper et, plus rarement, réprimer. En préférant l’expression de « services spéciaux », on considère que ces services effectuent bien plus que de la collecte et de l’analyse d’information transformée en « renseignement » et l’on met l’accent sur la dimension « spéciale », c’est-à-dire des modes d’action qui les distinguent des autres administrations, leur permettront de disposer d’un cadre juridique également singulier.
Or, ces services « spéciaux », étudiés ici dans leur ensemble, sont confrontés à d’autres « menaces » qui, pour ne pas être liées à la sécurité, ne les concernent pas moins que les « nouvelles menaces » traditionnelles. Menaces ou enjeux ? La question n’est pas seulement d’interprétation. Elle est liée au point de vue considéré : s’il s’agit de « menaces » pour les acteurs du renseignement, c’est un simple enjeu pour les responsables politiques ou les citoyens. Sans prendre position, on se contentera d’exposer les tenants et les aboutissants de ce débat particulièrement actuel.
Ces autres menaces sont tout aussi récentes que les premières et s’inscrivent, peu ou prou, dans la même chronologie postérieure à la guerre froide. Elles renvoient aux questions particulièrement complexes posées par la confrontation des services spéciaux avec les principes des sociétés libérales actuelles, c’est-à-dire à la fois aux règles de droit, aux mécanismes politiques et institutionnels, mais aussi aux valeurs du libéralisme comme doctrine. L’émergence des « nouvelles menaces » de la société libérale est effectivement relativement récente pour les Services. Elle trouve son origine dans le décalage apparu dans la deuxième moitié du XXe siècle entre certaines composantes de l’État, dont les services spéciaux font partie, et le puissant mouvement de libéralisation des régimes politiques et des sociétés. Ce que nous avons appelé dans des travaux antérieurs « l’État secret » s’est formé, dans le cas français, par un lent mouvement de sédimentation tout au long du XIXe siècle (1). Un siècle plus tard, les Services se sont trouvés dans un environnement philosophique et politique profondément modifié. Le temps n’était plus celui où ils étaient uniquement publics, dans la seule main de l’exécutif (2), à l’abri de tout regard extérieur, qu’il soit parlementaire, judiciaire ou médiatique.
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