L’illusion de l’an 2000
Au tournant du nouveau millénaire, Jean-Claude Barreau s’insurge contre un certain nombre d’idées simplistes qui sont émises par les commentateurs. Il y a d’abord la fascination démesurée du chiffre 2000. Ces trois zéros symboliques semblent annoncer un univers tout neuf. Or le passage du deuxième au troisième millénaire ne concerne que les chrétiens, soit un tiers de l’humanité, qui utilisent ce type de repère chronologique. Sur ce sujet, il est bon de rappeler que le 1er janvier 2000 a correspondu au 23 tébeth 5760 de l’ère de la Création des juifs, au 24 ramadan 1420 de l’Hégire (ou ère musulmane) dont l’origine représente le départ de Mahomet de La Mecque vers Médine, au début de l’année 2542 du Buddhashakaraja, l’une des ères bouddhistes, ou encore à un jour du mois de Magha de l’année 2050 des hindouistes. Le changement de millénaire ne constitue qu’un caprice du calendrier chrétien ; c’est donc un événement artificiel qui laisse indifférents les deux tiers de la population mondiale. Comme le souligne l’auteur, « les empires sont séculaires, les nations et les civilisations paraissent millénaires et les religions plus durables encore. Mais aucun de ces cycles n’a de rapport avec notre célèbre calendrier ».
Jean-Claude Barreau fustige également les historiens qui décrivent le Moyen Âge comme une période de stagnation, voire de recul. Or cette ère qui s’étend entre 476 (chute de l’Empire romain) et 1492 (découverte officielle de l’Amérique) est au contraire particulièrement riche en progrès scientifiques. C’est en effet pendant le Moyen Âge qu’ont été inventées les techniques agricoles de l’assolement triennal et de la charrue à socle et à roues. Cette époque a également vu l’apparition du canon, des gouvernails sur les bateaux et des étriers qui permirent aux cavaliers de mieux maîtriser les chevaux. Ce dernier aspect a révolutionné l’art militaire : c’est à ce moment que d’arme légère la cavalerie devint « arme lourde ». Les combattants à cheval purent désormais « charger à la lance sans être désarçonnés ».
L’auteur s’attaque ensuite aux vertus supposées de l’ordinateur. Sur ce sujet, Jean-Claude Barreau reste catégorique : « La fable de l’ordinateur remplaçant l’homme, très répandue chez les zélateurs de l’an 2000, est absurde ». La complexité d’une machine ne la rendra jamais humaine. Dans le film de Stanley Kubrick, 2001, odyssée de l’espace (à noter que le cinéaste situe avec raison le début du millénaire en 2001), on voit un ordinateur devenu conscient se rebeller contre les ingénieurs qui projettent de le débrancher. Cette séquence est certes impressionnante, mais ce n’est qu’une fiction. L’ordinateur le plus perfectionné ne deviendra en aucun temps conscient. Il restera une machine et la « révolte des machines » n’aura jamais lieu. La modernité ne peut pas changer le cœur de l’homme. Cette polémique conduit l’écrivain à étudier en détail les conséquences de la révolution de l’Internet. Selon Jacques Attali, le « réseau des réseaux » constituerait le « septième continent », le seul capable de relier les grands systèmes informatiques mondiaux sous le contrôle des groupes américains. À entendre les commentateurs, il faudrait évoquer un « véritable délire verbal » lorsque les médias nous déversent leurs analyses précipitées sur les « cybernautes » et le « cyberspace ». Certes, il est intéressant de pouvoir consulter à la vitesse de la lumière les plus grandes bibliothèques, la presse internationale et des archives, mais le réseau de connexion planétaire présente aussi de nombreux inconvénients. L’Internet obéissant à une logique économique purement libérale « ne donne aucun label à la qualité des informations que l’on peut y rencontrer ». On y trouve le meilleur, mais n’importe qui pouvant s’introduire dans le Web, on y trouve aussi le pire. On peut ainsi accéder à des sites racistes, nazis, terroristes ou à des propagandes pernicieuses de sectes. Avec l’Internet, nous savons tout, tout de suite, mais si nous n’avons pas un minimum de culture générale, nous n’y comprenons rien. Pour l’auteur, il ne suffit pas de recevoir une myriade d’informations, il faut savoir et pouvoir les interpréter, les mettre en situation et les déchiffrer. La vitesse d’information n’a jamais amélioré la compréhension.
La peur du nucléaire constitue l’autre grand sujet développé dans ce livre intéressant. Quoi qu’en disent les écologistes, le nucléaire militaire a été pendant cinquante ans un facteur de paix. S’il n’y a pas eu de guerre mondiale pendant cette longue période, et notamment de confrontation entre les deux super puissances, c’est certainement grâce à « l’équilibre de la terreur ». De même, si Hitler n’utilisa pas les gaz de combat, ce n’est sûrement pas pour des raisons humanitaires, mais parce que les Anglo-Saxons en disposaient autant que les Allemands : la dissuasion a joué. À l’aide de grands sujets d’actualité, Jean-Claude Barreau s’en prend vigoureusement au phénomène de la pensée unique. Le message de cet ancien inspecteur général de l’Éducation nationale invite finalement le lecteur à faire preuve de bon sens et de sérénité. Ces deux qualités majeures font souvent défaut aux commentateurs qui restent généralement prisonniers des effets de mode. ♦