Le douaire de Byzance – Territoires et identités de l’orthodoxie
En termes moins byzantins, il s’agit de l’héritage du vieil empire d’Orient sous la forme du monde orthodoxe. Le livre qui porte ce titre reprend, sous la signature d’un éminent refondateur de la géopolitique, le contenu de séminaires tenus depuis 1996 à l’École pratique des hautes études pour étudier la difficultueuse édification d’États nations dans le monde orthodoxe. Les lecteurs se passionneront pour ces épopées exotiques, fertiles en tragédies, où se mêlent le sang et le sol, les croyances et les langues, les gloires de jadis et la fécondité imparable des peuples insouciants.
Ces populations sont férues d’histoire, plus précisément de celle de leur communauté. Leur passé les pousse à exalter des mythes magnifiques, utilisés comme soubassement pour des constructions qui, trop souvent, les enferment dans une méfiance sinon une hostilité instinctives à l’égard de ce qui est étranger à leur ethnie ou à leur filiation spirituelle. D’où, dès les premières pages, cet amer constat : « Ce n’est pas à une nouvelle carte du Tendre des relations internationales que conduit la géopolitique de l’orthodoxie, mais plutôt à un atlas des haines identitaires ».
Le début est consacré à un glossaire conceptuel. Il est bienvenu, car nous sommes sur le terrain de la théologie et de la théorie politique, où l’on risque de se perdre faute de balise fournie par un vocabulaire adéquat. Une promenade à de telles hauteurs ne peut qu’ouvrir l’appétit pour qui entend absorber les éléments d’une connaissance de cette tranche ethno-confessionnelle d’un Orient compliqué. En une douzaine de pages, sont données plusieurs « grilles de lecture » – une seule n’y suffirait pas – pour comprendre les événements et les évolutions dans lesquels sont prises les communautés orthodoxes dans les Balkans, dans le Caucase, dans les steppes et les villes du monde russe et jusqu’en terre d’islam.
Viennent ensuite des monographies, riches d’aperçus détaillés et d’idées générales. Elles concernent notamment la Grèce, « métamorphoses identitaires et tragédie nationale » ; la Serbie, « l’entêtement au nom du passé » ; la Roumanie, « inachèvement et hétérogénéité » ; la Bulgarie, « l’histoire empêchée » ; l’Ukraine et la Biélorussie, « sécessions identitaires ou les identités dissidentes » ; avec une place de choix pour la Russie, « peuple, nation ou empire ? », sans oublier quelques « dispositifs atypiques » comme ceux des Albanais, des Bosniaques et des Macédoniens.
Le livre refermé, deux questions gênantes viennent à l’esprit. Est-il prudent de s’allier à des États qui n’ont pas fait leur deuil des vieilles revendications territoriales ? Est-il sage de s’associer à des nations encore en quête d’un équilibre social, politique et économique ? ♦