La Grande Guerre, en Seine-et-Marne, 1914-1918 – Hommes, femmes et enfants au cœur de la tourmente
Voici un livre remarquable qui a une portée nationale, tout en étudiant à la loupe comment la population d’une région clé a vécu l’épreuve de la Première Guerre mondiale. Il est vrai que la Seine-et-Marne, située à l’est et au sud de la capitale, était au centre de l’effort militaire français : dans la zone de guerre au nord, dans celle des arrières au sud. Le département fut notamment le siège des deux batailles de la Marne (1914 et 1918) et donc en partie ravagé par les combats, en partie aussi zone logistique pilote pour le soutien des opérations, en raison de ses ressources agricoles et industrielles.
L’auteur a le parti pris d’étudier dans le détail, à partir d’une abondante documentation d’époque, les catégories sociales et l’économie locale, les conséquences de la mobilisation générale, l’impact des réfugiés, blessés et permissionnaires, le comportement des gens, les méthodes du haut commandement militaire à l’égard de la population, le rôle des femmes et celui des enfants, l’attitude des syndicats ou de l’Église catholique, l’épuisement de toute une nation, l’arrivée des volontaires puis des troupes anglaises et américaines. Tout cela vu de près dans une région témoin permet une restitution très concrète de l’effort, des souffrances, de l’héroïsme et des faiblesses des Français de l’arrière.
Docteur en histoire, Chantal Antier note en effet avec une objectivité scientifique les beaux et les moins beaux côtés de la société française en guerre. En 1914, les instituteurs à penchant pacifiste rejoignent le virulent patriotisme ambiant… tout comme les religieux chassés par la séparation, qui reviennent en masse pour rejoindre le front. On a oublié la rigueur du gouvernement de guerre, le rationnement, les réquisitions, l’épuisement des ressources collectives et individuelles, l’étouffement de l’information par une censure toute-puissante, la baisse du moral en 1916 et les mutineries de 1917.
Il y a beaucoup de dévouement admirable à la patrie, mais aussi quelques lâchetés. L’économie et les rapports sociaux vont être désorganisés par la mobilisation et l’effort de guerre à la limite du possible. Le département a des milliers de morts, 4,15 % de la population au total. Les agriculteurs ont payé le plus lourd tribut, environ 30 % des mobilisés ont été tués ou reviennent mutilés. Assommée et meurtrie lorsque arrive l’armistice, la société française ne sera plus jamais la même qu’avant la guerre. En réalité, comme on sait, ses blessures laisseront des traces profondes pendant une à deux générations. ♦