Les ailes de la CIA
La CIA est un pur produit de la guerre froide. Sa création remonte au National Security Act de juillet 1947, voté trois mois après la définition de la doctrine Truman d’aide « morale, financière et militaire aux pays victimes de menaces communistes ». Les risques d’une confrontation directe avec l’Union soviétique pouvant déboucher sur une apocalypse nucléaire avaient conduit les États-Unis à renoncer aux interventions officielles au grand jour. Devenue le bras armé d’une politique officieuse menée sur les cinq continents, la CIA s’engagea dans des opérations clandestines sous toutes les latitudes. Impliquant quelques dizaines d’hommes ou de « véritables armées », s’étendant du simple entraînement au maniement des armes à des guerres ouvertes, ces interventions ont nécessité un soutien aérien important qui fut « parfois offensif ou le plus souvent logistique ». C’est l’historique de ce soutien aéronautique aux services secrets américains que nous relate Frédéric Lert dans cet ouvrage intéressant. L’auteur est un journaliste qui collabore depuis plusieurs années au magazine Raids, consacré à l’étude des armées étrangères et des « actions spéciales », ainsi qu’à différentes revues européennes de la presse aéronautique.
Les premières opérations furent menées en Asie avec l’aide de la Chinese Air Transport (CAT), financée par des capitaux obtenus auprès des nationalistes chinois dirigés par Tchang Kaï-chek. Au nom de la lutte contre le communisme, les États-Unis participèrent ainsi au ravitaillement des troupes françaises dans la cuvette de Diên Biên Phu (1). Après la défaite du corps expéditionnaire en Indochine, les Américains se mirent en devoir de remplacer les Français au milieu des années 50. Dans un premier temps, ils s’engagèrent au Laos auprès des Hmongs et des royalistes qui combattaient le Pathet Lao communiste. La CIA mit ainsi sur pied une unité aérienne capable de mener des actions offensives dans l’ancien protectorat français. Par la suite, les opérations internationales furent réorganisées sous la houlette d’Air America. La nouvelle société ainsi créée était elle-même placée sous la coupe de la Pacific Corporation, une firme appartenant secrètement à la CIA. Pour mener ses missions de plus en plus nombreuses dans le Sud-Est asiatique, l’agence américaine utilisa alors des bases situées en Thaïlande. L’engagement au Vietnam prenant ensuite de l’ampleur, la station de la CIA à Saïgon devint de loin la plus importante du monde. Dans ce chapitre, l’auteur nous relate les principales opérations, notamment celles qui furent menées au Cambodge. Le récit est teinté d’une émotion certaine lors de la chute de Saïgon en avril 1975 et du rapatriement des dernières troupes américaines en pleine débâcle.
Dans la partie consacrée aux combattants de la liberté, c’est évidemment l’épisode consacré aux « contras » du Nicaragua qui retient le plus l’attention du lecteur. Dans cette affaire, la CIA a apporté une aide importante à la constitution d’une force aérienne de la résistance au régime sandiniste. Le veto du Congrès américain à tout financement d’opérations dans ce petit pays d’Amérique centrale contraignit Washington à poursuivre son assistance aux « contras » en totale illégalité. Selon l’auteur, l’Arabie Saoudite aurait accordé une aide secrète d’une dizaine de millions de dollars aux combattants « antisandinistes ». En contrepartie, le royaume saoudien aurait reçu 400 missiles antiaériens Stinger. L’aide financière aux « contras » aurait été prolongée par le sultanat de Brunei. C’est alors que la Maison-Blanche, soucieuse de trouver une solution au problème des otages américains au Liban, proposa à l’Iran des armes en échange de son intervention auprès des responsables chiites. Les bénéfices de ces ventes de matériels devaient servir au financement de la lutte des « contras » au Nicaragua. Plus de 2 000 missiles antichars Tow et 235 missiles antiaériens Hawk auraient ainsi été livrés aux Iraniens. Les différentes péripéties du scandale de « l’Irangate » sont alors analysées avec détail dans l’ouvrage de Frédéric Lert qui apporte des révélations nouvelles.
Le document traite aussi des principales interventions de la CIA dans les autres pays de l’Amérique latine (Guatemala, Cuba) et en Afrique (Zaïre, Angola). Il donne également des informations intéressantes sur l’utilisation des drones qui, dans les missions périlleuses de photographies aériennes, tendent de plus en plus à remplacer les avions de reconnaissance classiques. Depuis la mésaventure de l’U 2, abattu au-dessus de l’Union soviétique au début des années 60, les avions sans pilote ont aujourd’hui gagné leurs lettres de noblesse.
Tous les récits qui sont proposés au lecteur mettent en évidence l’histoire controversée de la CIA qui, bien que disposant de moyens énormes pour mener ses opérations secrètes, a connu des échecs retentissants (baie des Cochons à Cuba, Vietnam…). Ce véritable État dans l’État continuera cependant à user de l’arme aérienne pour ses interventions logistiques dans les différents points chauds de la planète, avec l’art consommé que lui autorisent ses gigantesques ressources financières. ♦