Violences et insécurité urbaines
Deux experts des questions de sécurité intérieure, Alain Bauer et Xavier Raufer nous présentent, dans ce livre, un exposé complet, didactique, à jour pour les statistiques mais malheureusement inquiétant, sur la violence urbaine. Si le fait est déjà ancien et diagnostiqué dès la fin des années 70, il ne faut pas se leurrer, la situation ne cesse d’empirer et pose d’autant plus de questions depuis plusieurs années que tous les intervenants, État, collectivités locales, travailleurs sociaux. associations, entreprises… s’efforcent d’apporter des solutions, mais trop souvent en vain.
Les incidents se succèdent à longueur d’année. Ce sont des attaques d’autobus, de tramways, voire de trains. Ce sont de véritables embuscades contre les médecins ou les pompiers lorsqu’ils interviennent dans les quartiers sensibles. C’est également la multiplication des actes dits d’« incivilité », comme la destruction des boîtes aux lettres dans les HLM, la dégradation du mobilier urbain (abribus, cabines téléphoniques), les pillages de magasins et le vol avec violence, qui crée le sentiment de peur pour les habitants des zones urbaines et autoalimente le processus de décomposition de ces quartiers. Il s’agit donc d’un défi de fond lancé à toute notre société.
Ce « Que sais-je ? » est riche de très nombreuses informations et données chiffrées et permet une bonne appréciation d’un phénomène que nul citoyen responsable ne peut aujourd’hui ignorer. Le ton n’est pas journalistique et refuse donc de faire appel au sensationnel et aux simples faits divers.
Dans un premier chapitre, les auteurs dressent un constat très inquiétant : l’augmentation très nette dans toutes les agglomérations urbaines du nombre de quartiers dits « sensibles », 1 088 selon les renseignements généraux. Ils se caractérisent par un chômage massif supérieur à 25 % des habitants, qui touche particulièrement les jeunes, une toxicomanie importante créant une économie souterraine très rentable, une criminalité multiforme et un taux d’échec scolaire massif. L’école en effet est vécue comme un repoussoir. Les parents veulent que celle-ci les remplace dans le rôle d’éducateur, mais n’admettent pas la moindre exigence des professeurs quant à la présence ou au travail à fournir.
Ce sont des zones où l’État n’a plus « droit de cité » et où tous les intervenants, malgré des moyens déjà importants, ne sont plus en mesure de rétablir les mécanismes de base d’une vie sociale normale. Deux évolutions sont très préoccupantes. La drogue devient le moteur économique qui anime ces cités, car il est plus « facile » de vivre de l’argent de la drogue que d’errer de petits boulots en petits boulots pour des salaires souvent médiocres. L’école n’apparaît pas pour ces jeunes comme porteuse d’avenir. Le trafic est plus rentable que le diplôme. L’explosion exponentielle de la délinquance des mineurs est l’autre fait marquant, avec un rajeunissement sensible de l’âge des coupables : certains ont à peine 8-10 ans.
Ce sont donc de nouvelles sociétés qui se créent dans ces quartiers, avec des rites, des codes qui ne sont pas « civils » et un comportement totalement opposé aux règles sociales habituelles. La violence d’ailleurs se fait souvent contre les propres habitants de ces zones, accentuant de facto le sentiment de haine, les difficultés d’insertion sociale et le mal de vivre. Pour les auteurs, les statistiques officielles manquent de fiabilité en occultant de nombreux faits, tels que les actes d’incivilité. Le bilan serait donc plus sombre dans la réalité.
Cette violence n’est pas limitée à la France et touche également les grands pays industrialisés et tout particulièrement les zones périurbaines trop vite construites. Dans notre pays, au même moment, les zones rurales se vident, mais on maintient un dispositif de sécurité, en l’occurrence la gendarmerie, peut-être devenu surdimensionné. L’effort doit être fait, selon les auteurs, vers un rééquilibrage des zones de la gendarmerie ou de la police pour enfin prendre en compte la nouvelle géographie de la violence.
Le troisième et dernier chapitre apporte quelques idées pour une politique contre l’insécurité. Il est évident qu’il ne peut pas y en avoir une seule avec une seule réponse sur l’ensemble du territoire. Il y a forcément nécessité de nombreuses actions très diversifiées avec des intervenants différents, de l’État aux associations locales, avec une méthode adaptée aux besoins locaux. L’État est bien entendu le premier présent grâce aux structures éducatives, à l’appareil judiciaire, aux organismes sociaux, au système législatif et aux forces de sécurité. Cependant, il faut aussi que les collectivités locales s’engagent franchement dans ce processus long, dans un cadre bien défini comme, par exemple, le statut des polices municipales, la vidéosurveillance, les pouvoirs du maire… À cet égard, les contrats locaux de sécurité (CLS) impliquant tous ces acteurs sont promis à un développement important à l’avenir.
Le défi pour notre société est donc majeur. La sécurité va coûter cher, souvent au détriment de la rentabilité immédiate et de la productivité. Ainsi en est-il des entreprises de transport en commun qui sont sollicitées par les maires pour une diminution des coûts d’exploitation et obligées d’embaucher pour assurer la sécurité des usagers. La société doit donc accepter de payer davantage et de consacrer plus de personnels et de moyens pour maîtriser cette violence porteuse de destruction, de haine, de mort et de déstabilisation de la paix civile à l’aube du XXIe siècle. ♦