Mondes rebelles, l’encyclopédie des conflits
Les deux premiers tomes de Mondes rebelles publiés à la fin de l’année 1996 ont connu un gros succès en raison de la mine d’informations qu’ils recèlent. Le premier ouvrage était consacré aux conflits dans les Amériques et en Afrique ; le deuxième à ceux en Asie, au Maghreb, au Proche-Orient et en Europe. Leurs auteurs nous proposent aujourd’hui une troisième édition « revue et augmentée ». Cette encyclopédie géopolitique présente les données détaillées des guerres civiles, des violences politiques, des mouvements de lutte armée, des groupes terroristes et des formations mafieuses qui perturbent actuellement la planète. L’analyse des enjeux et du rôle des acteurs complète les études consacrées aux différents pays.
Depuis la fin de la guerre froide, les affrontements armés se caractérisent par leur dispersion et leur multiplication. Auparavant, ils se référaient souvent, d’une façon plus ou moins artificielle, à une problématique d’ensemble qui s’exprimait avec un vocabulaire marxiste et tiers-mondiste. On retrouvait toujours le clivage de la communauté internationale opposant l’Est à l’Ouest. Ce schéma venait recouvrir d’un vernis opaque les différences et les singularités locales. Aujourd’hui, les mouvements armés se cantonnent à une lutte locale, fortement marquée par des conditions géographiques particulières. N’ayant plus de soutiens politiques extérieurs, ces factions combattantes sont alors contraintes de remplacer les bailleurs de fonds qui leur manquent par des partenaires économiques. En d’autres termes, elles doivent se lancer dans des activités commerciales pour financer leur cause. Cette nouvelle logique mercantile a fait croître le négoce de produits illicites (drogues) et de marchandises légales, mais soumises à de fortes restrictions internationales (bois précieux, ivoire, armements…). Les partenaires étrangers impliqués dans ces réseaux commerciaux doivent eux-mêmes opérer dans des marchés parallèles. Le débouché de ces produits est ainsi constitué par des groupes mafieux qui prospèrent non seulement dans les paradis fiscaux, mais aussi dans des pays à économie libérale où ils servent de relais pratiquement insaisissables.
L’intérêt de cette encyclopédie ne réside pas seulement dans la pertinence et la présentation pédagogique de tous les grands conflits contemporains. Il tient également aux analyses prospectives qui sont présentées. Ainsi pour la Chine, les auteurs prévoient des violences consécutives aux grandes fractures qui opposent les riches provinces côtières (la Chine bleue) à certaines zones encore arriérées de l’intérieur (la Chine jaune). Par ailleurs, la baisse de la natalité pourrait engendrer de graves conséquences sociales. L’imposition d’une maîtrise du contrôle des naissances devrait en effet créer une inquiétante récession démographique. Ce phénomène risque de mettre sur le devant de la scène une population âgée, particulièrement revendicatrice et soucieuse de ses besoins en financement (retraites, santé, dépendance). Selon la Banque mondiale, avec le coefficient actuel de paiement des retraites, c’est l’équivalent de 2/5es de la masse salariale qui irait directement vers cette catégorie de population inactive. Sur ce terrain miné, la société chinoise risque ainsi de voir ses modes de fonctionnement traditionnel de plus en plus ébranlés : la remise en cause profonde de la sacro-sainte notion d’ancien, perdant le privilège de la rareté, pourrait ainsi entraîner une altération des principes de respect et de droits reconnus aux chefs de famille et aux « patriarches ».
L’Indonésie constitue pour les auteurs un autre brûlot social. En 2025, la moitié du pays musulman le plus peuplé du monde aura moins de trente ans. La crise actuelle va lui laisser pour héritage un lourd passif en faisant des générations sacrifiées. Déjà, les jeunes d’aujourd’hui sont confrontés à une explosion du chômage, qui est passé en quelques mois de 5 à 15 % ! En outre, la dégradation de la situation alimentaire, sous l’effet combiné de calamités naturelles (sécheresse, inondations, incendies de forêts) et de difficultés sociales et politiques, a suscité l’inquiétude de nombreux commentateurs. À cela s’ajoutent des leviers économiques plutôt limités pour les autorités de Djakarta. L’austérité imposée par le FMI, la fermeture relative mais durable de la soupape migratoire (fin 1997, près de 3 millions d’Indonésiens — 3,3 % de la population active — travaillaient à l’étranger), ainsi que le retrait de nombreux investissements extérieurs mettent en relief « le carcan économique et financier dans lequel les prochains gouvernements seront de fait emprisonnés ». Heureusement, d’autres observateurs sont plus optimistes et attendent les résultats des élections, qui doivent se tenir au milieu de l’année 1999, pour se prononcer sur l’avenir de cet archipel en pleine révolution.
L’évolution de la situation en Inde fait également l’objet d’une étude intéressante. « La plus grande démocratie du monde » se caractérise par une extraordinaire diversité ethnique et religieuse, ainsi que par une variété d’identités régionales, aussi spécifiques que fortes. En dépit de son sous-développement et de sa pauvreté, le pays de Gandhi s’affirme de plus en plus comme une puissance régionale, aux grandes ambitions géopolitiques et aux réalisations technologiques d’envergure (membre des « clubs » nucléaire et spatial). Toutefois, la nation indienne est aussi une zone de violence. Ce territoire de plus de 3 millions de kilomètres carrés reste confronté depuis son indépendance à une série de menaces ayant pour nom sécessionnisme (Cachemire, Pendjab), communalisme (troubles récurrents entre hindous et musulmans), extrémisme politique (naxalistes) ou régionalisme exacerbé (revendications politiques des Bodos).
Les analyses des différents points chauds du globe ont été rédigées par des chercheurs et des spécialistes reconnus du Ceri et de l’Iris. L’ensemble de l’ouvrage a été dirigé par deux passionnés des problèmes géopolitiques : Jean-Marc Balencie, docteur en sciences politiques, et Arnaud de La Grange, chef adjoint du service « Étranger » du Figaro et bien connu des lecteurs avisés de notre revue. Cette combinaison harmonieuse a produit un document enrichissant et utile pour la compréhension des grandes questions internationales. ♦