Monsieur le Président, ne vendez pas la Joconde ! Plaidoyer pour l’industrie
Monsieur le Président, ne vendez pas la Joconde ! Plaidoyer pour l’industrie
Il y a un peu plus de cinquante ans, la Ve République naissante était dans une situation morale présentant plusieurs similitudes avec celle que connaît la France aujourd’hui. Les incertitudes sur l’évolution de la situation en Algérie créaient un manque de confiance dans l’avenir et engendraient une vraie crise morale. La fracture sociale et le sentiment d’éloignement du monde politique des besoins immédiats des Français n’étaient pas moins sensibles. L’inflation, l’indépendance monétaire, et les dévaluations qu’elle permettait, le chômage n’avaient pas la même acuité mais rendaient la position économique de la France bien précaire. Et pourtant, les trente années qui ont suivi ont vu le redressement économique de la France et son retour sur la scène internationale après toutes les épreuves passées de la Seconde Guerre mondiale et de la décolonisation.
Pour Henri Conze, ingénieur général de l’armement et ancien Délégué général pour l’armement, auteur de ce livre, il ne s’agit pas d’un miracle mais du résultat d’une volonté politique affirmée soutenant une politique industrielle déterminée que nous n’avons pas su poursuivre, endormis que nous avons été par les conséquences de la fin de la guerre froide.
L’auteur nous rappelle les grands projets lancés dans cette période et les fleurons industriels qui les ont réalisés ; ils ne sont plus aujourd’hui que l’ombre d’eux-mêmes ou sont noyés dans un monde industriel apatride qui leur a fait perdre ou oublier leurs racines françaises. Mondialisation et globalisation n’expliquent pas tout. Pour Henri Conze, l’origine de cette dégradation relève de l’absence d’une vraie politique industrielle, celle qui impose continuité et sagesse aux décisions prises par l’État. Manque de compétences et diminution des prérogatives et de l’écoute accordées aux grands organismes tels que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national d’études spatiales (Cnes), le Centre national d’études des télécommunications (Cnet), la Direction des industries électroniques et de l’informatique (Dieli) mais aussi de la Direction générale de l’armement (DGA), sont à l’origine de la perte de compétitivité que nous constatons aujourd’hui. « Au moment où la revitalisation du tissu industriel de la France est une condition absolument nécessaire à sa survie économique, il est temps que l’État retrouve les compétences en politique industrielle qui lui font aujourd’hui tant défaut ».
L’ouvrage n’est toutefois pas pessimiste. Bien au contraire. Après un plaidoyer soutenu en faveur de l’industrie, Henri Conze pense qu’il n’est pas trop tard pour réagir et il identifie des pistes de redressement reposant sur les atouts de la France.
Quelques conditions préliminaires sont toutefois à respecter. En particulier, il faut faire en sorte que les notions les plus élémentaires dans les matières scientifiques soient connues de tous. La formation de nos ingénieurs doit leur redonner le goût de l’industrie en ralentissant le départ de nos élites vers des activités purement financières au détriment du développement des technologies nouvelles. Une éducation et un comportement plus raisonnables des médias doivent aussi être favorisés, afin d’éviter la dérive vers un intégrisme écologique privilégiant les mythes qui satisfont les masses car ils sont dans l’air du temps, mais qui s’opposent aux règles simples et élémentaires de la physique et de la nature.
Deux domaines industriels retiennent l’attention de l’auteur qui les considère comme porteurs d’un possible redressement de l’économie française. Elle y a de nombreux atouts.
L’économie numérique est à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle par les nouvelles performances atteintes : vitesses élevées de débit d’information, capacités de stockage phénoménales à la portée de tous, maîtrise de la sécurité en constante progression et énormes capacités de traitement de l’information offertes en réseau. Cette révolution porte un nom : le « Cloud Computing ». La France peut et doit y prendre une place mondiale car elle en a les compétences.
L’autre domaine où la France peut s’imposer est celui de l’énergie. La politique énergétique des années passées a donné à la France une indépendance relative que beaucoup d’autres pays au monde n’ont pas. Les nouvelles technologies, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, sont à notre portée, aussi bien dans les biocarburants, l’éolien ou le solaire, sans oublier l’amélioration permanente du nucléaire aussi bien en performances qu’en sécurité.
Pour ce redressement tant attendu, Henri Conze préconise le rétablissement d’un grand ministère de l’Industrie en charge de la politique industrielle du pays et de sa mise en oeuvre, le soutien aux PME-PMI et la définition de cursus de formation adaptés aux besoins de l’industrie en liaison avec le ministère de l’Éducation nationale. Il recommande par ailleurs un nouveau statut pour l’entreprise et ses dirigeants dont la place dans la société a dérivé et qui sont devenus responsables de tout ce qui ne va pas.
En conclusion, il formule une adresse au président de la République pour appeler de ces vœux le sauvetage de l’économie de la France, afin de ne pas être conduits dans un futur plus ou moins proche à fournir la Joconde en gage à un pool bancaire pour réaliser un ultime emprunt.
Un livre particulièrement intéressant, rédigé en termes clairs malgré le sujet traité, souvent réservé aux spécialistes utilisant un langage parfois abscons. Ouvrage d’actualité, quand l’industrie en France fait l’objet des grands titres quotidiens des médias, on ne peut qu’en recommander la lecture comme une pièce supplémentaire à verser au dossier. ♦