Sur la base d’une généalogie détaillée du concept de sécurité dont il montre les développements récents, l’auteur met en garde sur les effets de l’invasion révolutionnaire du phénomène de sécurité globale dans la pensée stratégique, notamment française. Il l’estime versatile et instable et recommande d’en maîtriser les effets pervers afin de ne pas renoncer aux principes d’endiguement de la guerre, mis en forme au fil des siècles et qui découlent moins d’une pulsion humanitaire liée à la modernité que d’une connaissance profonde du phénomène guerre.
Préambule - Du concept classique de sécurité au concept de sécurité globale
Foreword—From a Classic Concept of Security to a Context of Global Security
Based on a detailed genealogy on the concept of security, the author shows the recent developments and raises awareness about the effects of the revolutionary invasion of the phenomenon of global security in political thought, notably that of the French. He considers it fickle and unstable and recommends controlling the adverse effects so as not to renounce the principle of containment, shaped over centuries that stemmed from less of a humanitarian drive tied to modernity than a profound knowledge of war phenomenon.
Un nouveau paradigme de la sécurité a progressivement été adopté par le monde, à divers degrés d’intensité. Qu’il s’agisse de la sécurité globale dans le vocable des États ou de la sécurité humaine dans celui des organisations internationales, l’essence conceptuelle est la même. Brouillant sans nuances les frontières classiques de la sécurité, ce nouveau concept est un outil de gestion du danger, des risques, de la menace, des crises, des guerres, de la violence, de rapports de forces et de puissance. Il est un syncrétisme sécuritaire agrégeant tous les champs sociaux en tant qu’enjeux et moyens de sécurité. Mais ce concept apparaît comme hautement versatile. En se fixant pour objectif de tout sécuriser, par tous les moyens, en tentant de tout prendre en compte, la sécurité se vide conceptuellement de sens et révèle une essence totalitaire. Enfin, sa diffusion mondiale et notamment occidentale, ainsi que l’origine américaine de sa dernière mouture, pourraient offrir un moyen de mettre en forme, et donc d’influencer, les doctrines de sécurité des autres nations.
Généalogie du concept
Dans son acception classique contemporaine, le concept de sécurité s’est développé conformément à la naissance des États-nations. C’est un concept objectif et strict, renvoyant à l’ennemi ainsi qu’à la force, donc aux armées étatiques. Au début du XXe siècle, en Occident, le concept de sécurité fait l’objet de réflexions dont différentes conclusions nationales sont tirées de la situation géopolitique des États. Ainsi, Hervé Coutau-Bégarie écrit que les États-Unis et la Grande-Bretagne, protégés par leurs insularités (continentale pour l’Amérique), soutiennent une sécurité collective, c’est-à-dire assurée par le droit et le désarmement. De son côté, la France, n’étant protégée de l’Allemagne que par le Rhin, soutient une sécurité nationale, c’est-à-dire assurée par la force.
Du point de vue de la non-spécialisation et du dépassement des catégories classiques de la sécurité, la généalogie de son essence globale est probablement à rechercher dans les guerres totales menées durant la première moitié du XXe siècle, elles-mêmes ayant été probablement conceptuellement produites par l’agrégation et la maturation progressives de trois phénomènes : la généralisation du recours à la nation armée à la suite de la Révolution française et de ses conséquences dans le monde ; la Révolution de 1917 avec sa lecture de l’ennemi, de la violence et des rapports de force et de puissance allant au-delà de la seule chose militaire ; les totalitarismes du XXe ayant tenté d’abolir la distinction entre public et privé et les discriminations protectrices.
Il reste 88 % de l'article à lire
Plan de l'article