Dans ce plaidoyer pour refuser l’utilisation par les armées françaises de drones armés, on analyse la place de l’éthique dans l’exposition aux risques du combat. Elle différencie les armées américaines dont l’approche de l’ennemi s’enracine dans la culture essentialiste américaine et les armées françaises dont le code du soldat de l’Armée de terre exprime bien la nécessaire relation morale qui lie risque et honneur.
Les armées françaises doivent-elles se doter de drones armés ?
Should the French Armies Equip Themselves with Armed Drones?
In this plea to refuse the use of armed drones by French armies, one analyzes the place of ethics in the exhibition of the risks of combat. It differentiates between the American armies, in which the approach of the enemy is rooted in their fundamental American culture, and the French armies, in which the Ground Army’s Soldier’s Code well expresses a necessary moral connection that links risk to honor.
Ces dernières années, les États-Unis ont procédé à des centaines de frappes aériennes au moyen de drones armés *. Ces frappes ont provoqué la mort de plusieurs milliers de personnes, dont quelques centaines étaient des civils. Le premier mandat du président Obama a vu le recours à ce type d’action militaire s’envoler : d’une frappe tous les quarante jours en moyenne à l’époque où G.W. Bush était président, les États-Unis sont passés à une frappe tous les quatre jours depuis 2009.
Les autorités américaines estiment donc nécessaire et juste l’emploi massif de cet armement nouveau, qui soulève pourtant bien des questions de principe. Plusieurs raisons expliquent l’absence de scrupules des États-Unis à ce sujet : il s’agit tout d’abord de rentabiliser les investissements considérables réalisés dans ce domaine depuis vingt ans, investissements sans équivalent ailleurs dans le monde (sauf peut-être en Israël), qui renforcent à la fois la supériorité et la fascination de l’armée américaine pour la technique. Il s’agit en outre, après une décennie de forts engagements en Afghanistan et en Irak, de concrétiser l’aspiration nouvelle des États-Unis à n’intervenir militairement que de manière limitée, en laissant au sol l’empreinte la plus légère possible. De ce point de vue, le recours aux drones armés s’apparente a priori à une solution idéale associant à une capacité de frappe et de destruction ponctuellement très meurtrière, une exposition nulle au risque pour les militaires américains. En ce sens, les investissements massifs réalisés dans les drones (l’armée américaine en compte aujourd’hui environ 8 000) sont proportionnels à l’essoufflement stratégique actuel des États-Unis. Ils reflètent l’affaiblissement moral d’une nation à la combativité émoussée qui, si elle dispose encore de la puissance, n’est plus animée, pour quelques années, par une réelle volonté de l’exercer. À cette explication conjoncturelle, il convient toutefois d’ajouter que l’engouement des États-Unis pour les drones est tout à fait conforme à ce qu’ils sont : ce matériel militaire est une expression particulière de leur culture politique et de leur identité militaire.
Au-delà des gains tactiques, voire stratégiques, obtenus grâce aux drones armés, au-delà également de leurs inconvénients dans ces mêmes domaines, le présent article voudrait démontrer qu’à un niveau plus fondamental, le niveau éthique, ce qui est bon pour les États-Unis n’est pas forcément bon pour la France. L’usage des drones armés représente en fait un changement profond affectant la nature même de la guerre ; s’il est concevable dans l’univers culturel américain, il nous semble en revanche incompatible avec la culture de guerre de notre pays, avec la manière française de concevoir la guerre, de la mener et de la gagner.
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