Aux origines du drame syrien 1918-2013
Aux origines du drame syrien 1918-2013
La « mosaïque syrienne » offre une illustration impressionnante de l’« Orient compliqué » évoqué par le général de Gaulle. La notion d’État implique normalement un territoire délimité par des frontières clairement tracées, une population relativement homogène imprégnée d’une culture voire d’une religion dominante, des institutions admises. Rien de tout cela dans le panorama décrit ici par Xavier Baron qui, sans remonter à Palmyre et à la reine Zénobie, parcourt en 26 courts chapitres un siècle d’agitation et de violence.
Les suites de la Première Guerre mondiale, la disparition de la tutelle ottomane et la rivalité entre les alliés suscitèrent (ou ressuscitèrent !) un climat de violence et un véritable « découpage » du pays. L’officier de liaison britannique auprès du commandement français à Beyrouth est décrit par Pierre Benoit comme un de ces sujets de sa Majesté « à qui la seule idée du drapeau bleu-blanc-rouge hissé sur un fortin de la brousse africaine ou de la steppe asiatique donne aussitôt une crise de nerfs ». Les responsables français, civils et militaires, souvent de haut vol comme Gouraud, défilent au gré de la politique parisienne. Catroux, Gamelin, Weygand passent en même temps que des officiers au rang modeste mais à la forte personnalité comme le capitaine Carbillet et tout cela débouche sur le combat fratricide de 1941. Par la suite, l’instabilité a régné dans cette pauvre Syrie qui a vu se succéder « onze chefs d’État en vingt et un ans » parvenant au pouvoir de façon musclée, qui a perdu le Golan à l’issue de guerres malheureuses et connu l’épisode peu convaincant de la République arabe unie.
On lira avec intérêt la formation d’un « triangle du pouvoir » qui va s’imposer par la conjonction de trois éléments : les Alaouites, l’armée et le Baas, « mouvement singulier qui échappe au schéma traditionnel des partis politiques ». Hafez el-Assad, « réfléchi, sérieux, déterminé et inflexible », a fondé pendant trente années de pouvoir absolu une sorte de république héréditaire marquée par un contrôle étroit de l’ensemble de la société et une répression impitoyable des opposants. Mais voici qu’après la mort de Bassel, le fils aîné, la succession passe au modeste étudiant occidentalisé qui peut apparaître comme un « néophyte facilement influençable » risquant de devenir un « Président par défaut ». Il s’avère bien vite que le « printemps de Damas » ne relèvera pas du modèle observé ailleurs.
L’auteur se garde bien ici de prolonger son exposé parfaitement clair et documenté par des prévisions hasardeuses. Il ne voit « aucun espoir de solution rapide ». Les prises de position enregistrées en Occident n’empêchent pas l’armée de Bassar el-Assad de lui rester fidèle jusqu’à présent (malgré quelques « fissures ») ; les rebelles sont peut-être sympathiques mais ne sont pas forcément des démocrates vertueux immunisés du danger islamiste ; ils sont loin d’être capables d’obtenir un gage analogue à ce que fut Benghazi pour les opposants libyens. Enfin, Poutine a son mot à dire, on le sait.
Remercions donc Xavier Baron, très modérément optimiste, de nous livrer un constat aussi clair que possible d’une situation complexe à l’instant d’aujourd’hui, sachant qu’elle peut évoluer avec une rapidité et une violence qui sont habituelles dans ce pays.