Il faut plonger dans les racines mythologiques et symboliques du régime nord-coréen pour détecter tout ce que la dialectique intracoréenne porte comme affirmation de soi et dépendance à l’autre par une capacité de nuisance qui est aussi un aveu de dépendance. Ainsi l’auteur décode-t-il l’actuelle agressivité de Pyongyang.
Corée du Nord, une rationalité de l’irrationalité ?
North Korea, a Rationality in Irrationality?
One must plunge into the mythological roots and symbols of the North Korean regime in order to detect all that the inter-Korean dialect holds as a confirmation of self and dependence on others through a capacity for trouble (that is in itself a confession of dependence). Thus the author decodes the current aggressiveness of Pyongyang.
Depuis le début de l’année 2013, le Pays du matin calme connaît une nouvelle poussée de fièvre, sans que l’on puisse vraiment dire s’il faut y voir le signe d’une maladie spécifique ou considérer que la crise est pour lui une sorte de fatalité, dès lors que l’on se souvient que les deux Corées sont toujours, techniquement, en état de guerre (1). À l’évidence, le caractère récurrent (périodique ?) des tensions entre Pyongyang et Séoul a de quoi laisser plus d’un observateur circonspect ; néanmoins, d’aucuns demeurent attentifs à l’évolution d’une situation qui, précisément parce qu’elle est lancinante, inspire la méfiance : et si jamais cette fois les choses dégénéraient vraiment ? Le 1er janvier 2013, Kim Jong-Un évoque une réconciliation et parle de la réunification comme d’une « grande cause nationale » (2) ; le 12 février, il procède à un troisième essai nucléaire et agite en avril le spectre d’une « guerre totale »… Existe-t-il une forme de rationalité à l’œuvre derrière un comportement si dangereusement instable ? L’hypothèse mérite d’être considérée, particulièrement si on étudie les fondements idéologiques du régime nord-coréen et son rapport à la symbolique qui en esquissent les stratégies.
Des racines profondes : mythologie et symbolisme coréen
Bien que l’instauration de la République populaire démocratique de Corée à partir de 1948 ait conduit, sur le modèle stalinien, à bannir les différentes spiritualités qui ont façonné le pays, le régime a néanmoins cherché à s’appuyer sur les ressorts séculaires d’une mythologie et d’un symbolisme dont la tradition coréenne s’est nourrie. Ce qui pourrait ressembler à un paradoxe relève, en réalité, d’une nécessité – on n’efface pas une mémoire ou des racines par décret ou terreur – et reproduit de manière assez caractéristique l’utilisation de « mythes fondateurs » par le pouvoir. Seong Chang Cheong (3) rappelle ainsi que le chamanisme avait sensibilisé les premiers Coréens à l’idée que « toute chose possédait un esprit (…) En s’appuyant sur cette croyance, les anciennes familles royales tiraient leur légitimité des mythes constitutifs de la fondation de leurs royaumes : Tankun, fondateur de ‘‘Kochosôn’’ (Corée ancienne, vers 2333 av. J.-C. - 108 apr. J.-C.) est né, selon la mythologie, de l’union de Hwang-ung, fils du ‘‘Dieu du Ciel’’ et d’une ourse » (4). Or, ajoute-t-il, même si « le chamanisme [a] perdu beaucoup d’influence avec l’arrivée du bouddhisme et du confucianisme, il constitue toujours le vieux fond religieux des Coréens » (5). Le procédé est bien connu : Virgile a composé l’Énéide pour doter Rome d’un prestigieux fondateur et légitimer le prestige de la dynastie des Iule, dont se réclamait l’empereur Auguste.
Cependant, le pouvoir nord-coréen va allier la mythologie au symbole ; alors que Kim Jong-Il, le fils de Kim Sung-Il, est très vraisemblablement né non loin de Vladivostok, en 1942, la propagande officielle prétend qu’il a vu le jour sur le mont sacré Paektu, précisément où la légende situe la naissance de Tankun. Réactivant ce mythe, « lors du 53e anniversaire de Kim Chông-Il en 1995, l’agence de presse gouvernementale nord-coréenne fait même état de l’apparition, au dessus du prétendu lieu de naissance de ce dernier sur le mont Paektu, d’un anneau lumineux multicolore, ‘‘mystérieux phénomène’’ qui a ‘‘illuminé l’univers’’ » (6). À cette évocation, on pourrait ajouter la référence à Chollima – le cheval volant réputé parcourir mille lieues en une foulée – pour symboliser le développement galopant du pays annoncé par le régime (7), mais aussi le calendrier Chuch’e, adopté en juillet 1997 et dont 1912, date de naissance de Kim Sung-Il, représente l’année « zéro » (8).
Il reste 76 % de l'article à lire
Plan de l'article