Histoire politique du Japon (1853-2011)
Histoire politique du Japon (1853-2011)
Nous avons là un livre important, indispensable pour les spécialistes, nouveau dans son genre en français : une histoire des politiciens et des partis, découpée de façon innovante, qui est le fruit d’un travail mené à fond sur les hommes, la nomenclature et l’examen des intrigues au Japon depuis l’ouverture du pays jusqu’à ce jour (d’ailleurs c’est un examen si minutieusement fait que, çà et là, certains peineront à le lire). Aux spécialistes, il rendra le même service qu’un dictionnaire. La première moitié du livre raconte toutes sortes d’événements d’histoire générale en arrière-plan des luttes politiciennes ; la seconde, celle de l’après-guerre, est moins ornée : on y aperçoit bien les indignations de l’opinion et la houle des relations internationales mais on reste sur sa faim en ce qui concerne des choses qui sont impliquées aussi dans les débats des politiciens comme la politique du travail et les inventions de la politique industrielle.
Dès le début, on est frappé de découvrir une forte activité politique chez des hommes tout nouveaux sur la scène du Japon des réformes, à moins de dix ans de carrière et quand les idées n’étaient dans l’air que depuis trente. Les politiciens de l’ère Meiji ont commencé jeunes et vécu dangereusement (nombre d’entre eux furent assassinés). On s’explique que ceux qui subsistèrent aient fait une carrière de cinquante ans. Pour illustrer le caractère général de la première moitié de l’histoire, retenons-en la citation suivante (p. 94) : « Dans la continuité de l’amalgame des domaines seigneuriaux en départements, le gouvernement réduisit radicalement les 71 314 villes et villages en 15 820 municipalités, dont les assemblées ne furent accessibles qu’en s’acquittant d’un cens de 2 Yens, et les votants étaient encore divisés en deux catégories selon leur rang de fortune. Ainsi, la centralisation avait l’avantage politique pour les oligarques de détruire les anciennes solidarités communautaires sur lesquelles s’étaient bâties les révoltes, et le cens contribuait à séparer les paysans riches des moins aisés ». Et le caractère de la deuxième moitié se montre assez bien dans celle que voici (p. 302) : « Le cabinet Ikeda fut le seul qui ne vit jamais les mécontents prendre le pas sur les satisfaits dans la cote de popularité. Ikeda avait bien entendu des factions qui lui étaient opposées au PLD, mais il sut se les allier en les faisant entrer dans le gouvernement. Cela eut pour effet un nouveau renversement d’alliance, Satô Eisaku prenant le camp des opposants. La faction Kishi se scinda en trois : faction de Fukuda Takeo, faction de Kawajima et faction de Fujiyama. Celle de Fukuda était la plus à droite. Ikeda répondit par la création d’une commission d’enquête sur l’organisation du parti dans le PLD, dirigée par Miki Takeo, avec pour objectif, lui aussi, de moderniser le PLD en mettant fin aux factions. C’était bien entendu simplement un moyen de contrer les discours de Fukuda ».
L’auteur est exercé à toutes les finesses de l’analyse des campagnes et des résultats de votes. L’ouvrage comprend aussi quelques portraits de politiciens, par exemple celui de Konoe Fumimaro, malheureusement inachevé car ce n’est pas assez de dire que celui-ci a eu sa volonté usée ou stupéfaite, on doit dire qu’il était mondain. On aimerait avoir aussi des portraits de leaders militaires, compte tenu de ce qu’ils occupèrent la politique à une période cruciale ; à côté de celui de Tanaka Giichi, il faudrait développer la création des organisations politiques dans le peuple par l’Armée impériale. En tout cas c’est un livre dans lequel on ne se repose jamais et les erreurs semblent peu nombreuses (Mutô Akira n’a pas été impliqué dans le viol de Nankin, l’auteur a sans doute voulu dire Matsui ; le prénom de Komoto Daisaku n’est pas Daisuke). L’amiral Oikawa n’a pas eu d’initiative personnelle dans le débarquement des forces armées en Indochine du Sud ; sans doute en évitant la guerre contre l’URSS, la Marine pouvait-elle respirer, mais c’est tout… Il manque une analyse critique de ce que fut le double pouvoir civil et militaire, vice pénible des institutions japonaises dont on voit la conscience persister de nos jours quand l’opinion fustige les lois de l’armée d’après-guerre ; elles ont peiné à installer un contrôle civil pratique et l’opinion publique n’est pas encore apaisée. Mais on peut dire où l’on trouverait des aperçus complémentaires des articulations de l’action politique au Japon : citons par exemple la préface de Pouvoir politique au Japon (le point de vue des Japonais), l’ouvrage qui a paru aux POF (Publications orientalistes de France) en 1994. ♦