Dans ce propos sans concession, l’auteur démonte l’idée d’une Europe géopolitique à laquelle conduirait une Europe de la défense portée à bout de bras par la France et qui n’a pas convaincu ses voisins.
La France et l’Union européenne : quelles perspectives géopolitiques ?
Geopolitical Perspectives for France and the European Union
In his hard-hitting article, the author demolishes the idea of the geopolitical Europe that some think could be established through a European defence project, which is in any case held at arm’s length by France and has failed to convince her neighbours.
L’Union européenne, l’UE, est née en 1992 du Traité de Maastricht. Sa nature inédite, son orientation depuis vingt ans et la crise existentielle qu’elle traverse aujourd’hui devraient nous conduire à interroger vigoureusement un projet européen auquel la France a beaucoup sacrifié pour finalement en recevoir bien peu, économiquement, mais aussi géopolitiquement. C’est peut-être parce que nous, Français, sommes incapables de voir l’UE telle qu’elle est, qu’il faut infliger un traitement de choc à la conception idéologique que nous en avons, un traitement seul à même de dissiper le voile d’ambiguïtés et d’incertitudes entretenues depuis toujours à son sujet. Il est impératif désormais de « penser » l’UE, de la penser clairement et définitivement, car elle arrive à un stade de son développement où s’ajoute, à sa faible utilité concrète, une dimension restrictive qui porte atteinte à notre vitalité géopolitique.
La puissance par l’Europe ou la fin d’une illusion
Historiquement, la France a recherché dans la construction européenne « l’incarnation », pour reprendre l’expression de Brzezinski. L’Europe communautaire était censée servir l’intérêt national des États qui s’y intégraient et la France y voyait le moyen d’accroître dans des proportions importantes son poids et son rayonnement géopolitiques. Une telle conception a prévalu à l’époque où le général de Gaulle était le président de la République française. Au cours des années 1960, il s’est efforcé à plusieurs reprises de donner corps et consistance à une Europe politique qui devait être une Europe des États, respectueuse des souverainetés nationales. Ce projet a échoué en raison de ce qu’il faut bien appeler son irréalisme foncier. « L’Europe des Européens » dont parlait Charles de Gaulle était en fait dans son esprit une Europe française et de cela, nos partenaires ne furent pas dupes.
Vingt ans plus tard, dans les années 1980, l’Europe communautaire, qui n’était jusque-là qu’un moyen au service des États, opéra insidieusement sa mue pour devenir en l’espace de quelques années une fin à laquelle les États devaient désormais accepter de sacrifier certains de leurs intérêts. Cette transfiguration fut le résultat le plus tangible d’une nouvelle idéologie, l’européisme, qui n’était rien d’autre que l’application à la construction européenne du libéralisme contemporain. Or, ce libéralisme inédit s’est notamment affirmé comme une gigantesque entreprise de délégitimation et de dévitalisation de l’État.
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