La défense européenne n’a pas tenu ses promesses, on le sait. C’est aussi qu’elle a hésité entre trois approches qui reproduisaient ses clivages stratégiques profonds. L’auteur discerne des facteurs actuels propices à une nouvelle dynamique, surtout si l’on sait revenir sur des fondements contestables, ceuxlà même qui paralysent son établissement. Mais ici l’ambition doit être partagée et pragmatique.
Défense européenne : idées neuves et vieux bon sens
European Defence: New Ideas and Good Old Common Sense
One thing is certain: European defence has not lived up to its promises. Moreover, it has wavered between three approaches, which reflect deep strategic divisions within the Union. In this article, the author identifies some of the current issues which bode well for giving new dynamism to the project as long as Europeans can look again at the disputed fundamentals which are paralysing it. It is clear that any ambition has to be shared by all nations and, above all, pragmatic.
L’histoire de la défense européenne ressemble à la chronique d’une déception : dix ans après le lancement de la première opération, en mars 2003 en Bosnie-Herzégovine, sous la direction stratégique et le commandement opérationnel de l’UE, le même constat demeure d’une distorsion croissante entre la puissance économique de l’Europe – même en temps de crise – et son inexistence stratégique. La défense européenne était-elle donc une fausse bonne idée ? Un rêve ou une nostalgie de puissance propre à la France et que la mondialisation rendrait définitivement obsolète ? Ou existe-t-il dans la nouvelle donne mondiale des ferments favorables à une relance de cette politique ?
L’histoire avait pourtant bien commencé. À la fin des années 1990, lorsqu’il s’avère évident que la fin de la guerre froide bouleverse de fond en comble les données traditionnelles de la sécurité, France et Grande-Bretagne inaugurent une alliance stratégique nouvelle au bénéfice de l’Europe. Tout ambigu fût-il, l’accord franco-britannique de Saint-Malo entraîne dans sa dynamique le reste des Européens. En une décennie, l’Union parvient à intégrer, dans une construction pourtant purement civile, pétrie d’une culture viscéralement pacifiste, les différentes facettes d’un appareil politico-militaire calqué sur celui des États, soit tout un arsenal de quelques centaines d’officiers mobilisés pour le succès des opérations extérieures de l’UE.
Dix ans après, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Certes, les Européens ont effectué 28 opérations civiles ou militaires dans le cadre de l’UE, mobilisant 10 000 soldats et 5 000 policiers, sur trois continents, et plus particulièrement dans l’ex-Yougoslavie et en Afrique. Toutefois, le résultat est doublement décevant. D’une part, ces expériences communes accumulées dans la gestion des crises extérieures n’ont guère produit de dynamique collective : les Européens restent toujours aussi divisés sur leur vision du monde, toujours aussi réticents dans leur ensemble à s’investir dans le champ stratégique. D’autre part, les interventions de l’Union n’ont que rarement fait la différence : en Géorgie, en République démocratique du Congo, au Soudan, à Rafah, en Afghanistan, les situations locales restent conflictuelles et le sous-développement massif. Il n’y a guère qu’en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou au large de la Somalie contre la piraterie, que des améliorations peuvent être mises au compte des interventions militaires, et surtout financières, de l’UE.
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