Faire le point sur les rapports qu'entretient aujourd'hui le pays avec ses militaires, c'est prendre la mesure de la forte rétraction de la conscience et de l'empreinte militaires de notre société mais aussi de la « militarité » désormais très différenciée des agents du ministère de la Défense. L’auteur, analyste averti de ces questions, en détaille les réalités contrastées.
Le militaire dans la conscience nationale aujourd'hui
The military within national conscience today
To report on today’s ongoing relations between the country and its military means to take the measurement of the severe shrinkage of consciousness and of the military’s footprint within our society, but also to take into consideration the “militarité”—henceforth highly differentiated from the agents of the Ministry of Defense. The author, an analyst who was forewarned of these issues, details the contrasting realities.
L’Armée française (1) a subi une profonde transformation qui relève plus de l’économique que du politique, la rétraction de son dispositif et sa restructuration ayant été largement déterminées par les contraintes d’« une gestion des coûts systématisée » (2). L’Armée de terre vend ou a vendu ses forts, ses casernes, ses emprises. Il y avait 229 régiments au début des années 1990, il n’y en aura plus que 80 en 2014 ! Cette transformation constitue une mutation sans précédent dans l’histoire d’un pays à laquelle le militaire – au sens générique du terme – a grandement contribué. Aujourd’hui, on peut légitimement s’interroger sur la place du fait militaire dans la conscience nationale. Pour tenter de répondre à cette interrogation, je distinguerai les rapports des Français à l’Armée – une collectivité plus ou moins abstraite perçue au travers de ses œuvres et de ses manifestations – et de ce qui tient à l’insertion dans le corps social de tels ou tels militaires, dont la prise de parole publique et la fréquentation peuvent susciter ou entretenir une conscience du fait militaire.
Effacement des œuvres et des manifestations publiques du militaire
Les œuvres et les expressions de l’Armée française ont tramé l’espace national, géographique, social et culturel. Aujourd’hui, les bâtiments militaires, pour beaucoup réemployés par les municipalités, sont bien souvent vidés de leur mémoire. À l’expression vivante de musiques militaires, pour la plupart dissoutes, se sont substituées le plus souvent les sonorités froides de musiques enregistrées (3). Des fêtes et des célébrations militaires, perdant de leur spontanéité, se sont technicisées : elles sont devenues des vitrines, donnant à voir une représentation spectaculaire, lisse et figée du militaire (4). Il en va de l’Armée comme de l’Église : ses processions à pied ou en convoi, ses uniformes ont disparu de paysages qu’elle a désertés. Quant à sa représentation filmographique, audiovisuelle ou littéraire qui l’évoque ou la raconte, elle est rare ou confidentielle. Le visible de l’action militaire se réduit aujourd’hui à des images apparaissant aux « vingt heures », dans quelques émissions spéciales et reportages ou sur des écrans publicitaires séducteurs. Le militaire, dans ses œuvres et ses manifestations, est aujourd’hui comme effacé du quotidien national, distancié, médiatisé : son immédiateté et son vivant sont inaccessibles à la plupart de nos contemporains.
Pourtant, malgré la distance physique qui s’est creusée entre les populations et leurs armées, celles-ci possèdent un capital de confiance et d’image considérable : en 2013, 91 % des Français apportaient leur confiance aux armées (contre 76 % à la police et 63 % à la justice) (5). Certains observateurs avancent même que la suspension du service national aurait plutôt favorisé l’image de « l’Armée » dont les indices ne cessent de s’améliorer depuis dix ans (6). Le constat n’est pas faux. Il mérite d’être nuancé et complété.
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