Les sources françaises de la démocratie serbe
Les sources françaises de la démocratie serbe
Voici un ouvrage monumental, accompagné d’une bibliographie impressionnante, qui dépasse la relative modestie de son titre pour analyser en détail l’ensemble de la politique intérieure et extérieure de la Serbie au XIXe siècle et jusqu’aux prémisses de la Grande Guerre où le pays va jouer un rôle de déclencheur lié aux activités de la « Main noire ».
On voit se constituer peu à peu une nation à partir d’une paysannerie fruste et illettrée à 80 %, et d’une petite société bourgeoise et aristocratique remuante qui va secréter un parlementarisme chaotique, tandis que se développent l’enseignement et la presse. Karageorgevitch et Obrenovic se succèdent dans une ambiance faite de rivalité et de violence culminant en 1903 avec l’assassinat du roi et de l’intrigante reine Draga sous les yeux des Européens qui poussent des cris de paon, lancent un « embargo diplomatique » mais se gardent bien d’intervenir plus avant. Dans l’esprit de la Sainte Alliance, les Puissances assistent sans trop se compromettre, entre une « Sublime Porte » quelque peu décadente, une Russie protectrice mais affaiblie par la Crimée et soucieuse de ne pas se laisser entraîner, une double Monarchie viennoise cherchant maladroitement à imposer une tutelle pesante, une Grande-Bretagne donneuse de leçons. Mais dans ce concert, il se trouve que la France, pourtant lointaine depuis Marmont et les provinces illyriennes, jouit d’un grand prestige. On admire les Lumières, on adhère au principe des nationalités cher à Napoléon III, on se félicite après Magenta, on voit dans notre pays le berceau des droits de l’homme, on prend comme modèles Tocqueville, Hugo et Gambetta. Bref « on ouvre les parapluies si on apprend qu’il pleut à Paris ! ».
Le contact est maintenu par les « Parisiens » qui séjournent et étudient dans notre pays, y fréquentent politiques et écrivains et brûlent d’importer à Belgrade et à Nis notre culture et nos institutions. Et quand il s’agit de trouver un professeur (et quasi-précepteur) pour le prince héritier, on va se tourner vers la France qui fournit un brillant historien, Albert Malet, auteur avec Jules Isaac de manuels que vont fréquenter chez nous des générations de lycéens. La proximité s’accentue avec l’arrivée sur le trône serbe de Pierre Ier dont le regard clair et la moustache conquérante ornent la couverture du livre. Saint-Cyrien, ayant combattu à nos côtés sur la Loire en 1870, reçu triomphalement dans son pays, cet homme remarquable rencontrera toutefois bien des difficultés dans l’ambiance d’un régime parlementaire instable qui fait penser à notre IVe République et contraignit le souverain à l’abdication au printemps de 1914. Il fut le père d’Alexandre qui devait découvrir plus tard à Marseille la brutalité bien connue de la cité phocéenne.
Il reste à se demander si la politique de la France d’aujourd’hui répond encore à un attachement qui fit pour elle de la Serbie une sorte de pupille.