Billet - Drone, mon amour
Dans le ciel ça ressemble à un gros oiseau car ce n’est pas vraiment un avion, et dans la presse ça se veut un débat mais ça vire au dialogue de sourds : pour ou contre le drone ? Il y a ceux qui affirment que sans lui nos campagnes d’Afrique n’auraient pas été possibles, et il y a ceux qui constatent que, malgré lui ou à cause de lui, nous allons devoir dégager d’Afghanistan après plus de dix ans d’une guerre introuvable. Alors le drone, arme miracle d’un Occident démiurge ou instrument de son échec ?
Le drone est-il légal, éthique ou vulgaire ? Débat qu’on nous dit d’importation, tant il est vrai que ça chauffe chez Monsieur George : un projet de décoration militaire pour ses opérateurs bunkerisés y a été reporté. Mais dans une Amérique refuge de la bonne conscience calviniste, le débat porte plutôt sur les pouvoirs constitutionnels exorbitants d’un président dont l’opinion ne sait plus s’il est Prix Nobel de la paix ou Serial Killer. Pour le reste, le drone est l’arme de l’ubiquité : je vois sans être vu, et même quand je ne surveille pas, on croit que je suis là. Le drone, arme de l’humiliation ? Quand le bruit de l’engin se fait entendre, c’est que la mort approche, comme le V-1 au-dessus de Londres. Le drone, arme de la honte ? On nous annonce maintenant des drones kamikazes, effet miroir des attentats du 11 septembre ; sauf qu’il fallait un courage certain pour se précipiter sur un porte-avions américain, et que la remise de médailles se faisait alors à titre posthume. Le drone, arme de la lâcheté ?
Le problème est ailleurs, il n’a pas changé depuis des siècles. Alain écrivait dans un de ses Propos lors de la guerre du Rif : « Il est agréable d’être artilleur. On mesure, on calcule et les effets, vus de loin, sont merveilleux. Mais celui qu’on veut déloger de son abri est protégé contre les erreurs d’imagination. Il a l’épaule contre le rocher. Or un tel rocher, de loin, n’est qu’un caillou dont on croit voir sauter les débris. Ces remarques ne sont point neuves, mais il est utile de se les rendre présentes autant qu’on peut, si l’on veut apprécier comme il faut le travail de l’infanterie. Il faut qu’elle approche, et à l’approche, un fantassin en vaut un autre ». Et Alain de poursuivre, comme s’il racontait la guerre du Mali : « Dans le fond les méthodes de guerre n’ont pas beaucoup changé depuis le temps des légions romaines. En dépit des canons, des avions, des autos et du sans-fil, je soupçonne qu’il faut le même nombre d’hommes au kilomètre carré qu’il en fallait autrefois pour une occupation paisible. Les opinions abstraites sur la guerre, sur le droit des peuples, ne changent point le problème. Il vient toujours un moment où il faut faire ce que l’on fait ». Et ne pas se mentir. Alors, le drone, arme de l’inutile ? ♦
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