Pour déterminer si l'incertitude porte un risque, le décideur fait appel à des processus mentaux distincts selon que l'incertain est anticipé ou non. Reprenant des récents travaux, l'auteur expose l'état de l'art dans la connaissance de certains aspects méconnus de mécanismes de prise de décisions stratégiques face à l'ambiguïté.
Décisions stratégiques et neurosciences
Strategic Decisions and Neuroscience
To determine whether uncertainty is a risk, the decision-maker uses distinct mental processes depending on whether or not uncertainty is anticipated. Echoing recent works, the author exposes the state of the art in the knowledge of unknown aspects of strategic decision-making in the face of ambiguities.
Parmi les contributions récentes des neurosciences à la compréhension des mécanismes mentaux, deux domaines peuvent trouver des applications en matière de stratégie. Il s’agit, d’une part, de la perception et du traitement par le cerveau des différentes situations risquées qui précédent la décision. Ces travaux font apparaître des distinctions nouvelles qui se révèlent ici pertinentes. Ils montrent notamment comment l’ambiguïté qui recouvre aujourd’hui beaucoup de zones conflictuelles peut être utilisée comme une arme stratégique par certains de ses acteurs. L’autre domaine d’application est un peu moins évident. Il intéresse pourtant une caractéristique majeure des conflits contemporains et des modalités d’intervention qu’ils mobilisent. Les exemples récents, tant en Afghanistan qu’en Afrique centrale, ont fait apparaître deux niveaux de conflictualité. À partir de conflits locaux internes souvent complexes (1er degré), les plus grandes puissances décident ou non de faire intervenir leurs forces militaires (2e degré). Plusieurs travaux de neurosciences consacrés aux interactions sociales ont montré que le cerveau traite de manière différente des situations potentiellement conflictuelles, selon qu’elles sont envisagées au premier ou au second degré. Un rapport étroit existe, du reste, entre ces deux types de contributions des neurosciences à l’intelligence stratégique, puisqu’elles renvoient l’une et l’autre au traitement de l’incertitude. Cet article se propose de les présenter et d’en dégager quelques applications aux problèmes de défense.
Qu’est-ce qu’une situation risquée ?
Le vocabulaire stratégique est un marqueur de l’évolution dans les rapports de force internationaux. La sécurité est ainsi devenue une dimension déterminante de la défense. De même, l’incertitude et le risque sont aujourd’hui des références stratégiques explicites qui sous-tendent la conflictualité potentielle, d’où l’importance du doublet incertitude-risque d’insécurité. Un historien pourrait faire observer, non sans malice, que Clausewitz plaçait déjà le calcul des probabilités au centre du raisonnement stratégique et incorporait le hasard au premier rang des facteurs à l’œuvre dans l’émergence et l’évolution des guerres (1). Ce qui est peut-être plus récent, c’est, d’un côté, le caractère quasi permanent de cette incertitude qui enveloppe l’ensemble des relations mondiales, d’où de nouveaux liens à explorer entre cette incertitude et les différents risques. D’un autre côté, l’intelligence de ce que nous appelons encore les risques s’est transformée et enrichie. En complément de leurs différentes mesures qui ont été affinées par le développement des techniques mathématiques, s’est développée une analyse des conditions de leur perception et des diverses réactions qu’ils engendrent dans les cerveaux de ceux qui les traitent. Elle a bénéficié des progrès des neurosciences, favorisés par les nouvelles techniques de l’imagerie et par les développements de la neurobiologie, voie de la génétique.
Il reste 87 % de l'article à lire