Récapitulant les étapes de la stratégie militaire moderne, de 1914 aux conflits d'Irak et d'Afghanistan, l'auteur montre que les succès résultèrent d'une formule vertueuse fondée sur des matériels modernes en phase avec des innovations doctrinales et soutenus par des industries performantes. Aujourd'hui où la pensée militaire européenne est à la remorque du technicisme américain, est-il possible de cantonner la stratégie militaire à sa simple dimension fonctionnelle ?
La supériorité stratégique et militaire : leçons et questions
Strategic and Military Superiority: Lessons and Questions
Recapitulating the steps of modern military strategy, from 1914 to the conflicts in Iraq and Afghanistan, the author shows that success results from a virtuous formula based on modern hardware in step with doctrinal innovations and supported by reliable industries. Today, where European military thought is trailing American technocracy, is it possible to contain military strategy in its simply functional dimension?
Invités à nous projeter dans l’avenir, il nous semble, au préalable, utile et nécessaire de considérer ce que nous enseigne le passé récent. En cette année de commémoration du début de la Grande Guerre, comment nos devanciers envisageaient-ils les conditions de la supériorité stratégique et militaire ? Comme nous, ils étaient sûrs de leurs valeurs de justice et de droit, contrairement à leurs adversaires animés d’intentions bellicistes. D’un point de vue militaire, la pensée stratégique était l’héritière des leçons tirées des campagnes napoléoniennes, mais aussi, surtout du côté allemand, de la pensée clausewitzienne. L’idée demeurait bien ancrée de la bataille décisive qui, elle seule, pouvait régler le sort de la guerre en amenant la victoire. Une telle certitude poussait à l’offensive à outrance ; aucun doute ne venait effleurer les esprits, même si on avait pu constater lors de la guerre des Boers ou celle qui avait eu lieu une décennie auparavant entre Russes et Japonais, les effets paralysants du feu sur les forces attaquantes lorsque, de surcroît, les défenses ennemies étaient bien préparées. Comme l’écrivait Colin dans son ouvrage devenu un classique, « l’attaque est le mode d’action normal à la guerre » (1). Le résultat d’un tel entêtement ne se fit pas attendre : le 22 août 1914 fut un jour de deuil pour l’armée française : 28 000 soldats tués. Durant l’été 1914, les offensives, d’abord françaises puis allemandes, échouèrent sur le front occidental. Celui-ci se figea et se transforma en un réseau continu de tranchées courant de la mer du Nord à la frontière suisse.
Le mythe de l’offensive décisive perdura cependant et l’offensive britannique sur la Somme se solda par 27 000 jeunes hommes tués en un seul jour, le 1er juillet 1916.
Il devenait urgent de repenser les fondamentaux de la stratégie. Seuls, après la guerre, les vaincus et les exclus s’en chargèrent. Les Allemands vont être particulièrement créatifs et innovants. Ils avaient été les premiers attaqués en masse par les chars et mesurèrent bien mieux que les Français et les Britanniques le parti que l’on pouvait tirer de leur utilisation combinée avec l’avion. La Reichswher, outil remarquable, enfantera l’armée du IIIe Reich, qui fut, nonobstant les abominables horreurs du nazisme, techniquement la meilleure sur tous les fronts où elle fut engagée entre 1939 et 1943. Elle trouvera son maître chez les Soviétiques, à qui l’on doit près de 70 % des pertes allemandes de la Seconde Guerre mondiale.
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