Billet - Gabriel garde l’anonyme
Il y a exactement soixante-dix ans, au soir du 5 juin, les généraux allemands de l’OKW furent alertés par la répétition, parmi les messages de la BBC à la Résistance, de la seconde partie du vers de Verlaine, quelques jours après la diffusion de la première moitié. Auraient-ils été saisis par la modernité cybernétique comme Monsieur Le Trouhadec par la débauche, et atteints de ce virus de la réunionite qui sévit dans nos états-majors otanisés, ils auraient alors organisé un colloque sur les rapports entre métadonnées et poésie. Plus prosaïquement, ils mirent en état d’alerte les 15 000 hommes de la 21e PzrDiv, qui passèrent une nuit blanche à faire les pleins et remplir les casiers à munitions. Pour le reste, n’aurait été le pilonnage par l’aviation alliée de tous les nœuds ferroviaires au nord de la Loire et des ponts sur la Seine, Verlaine ne les prévenait pas de ce qui se tramait.
La NSA n’est pas plus avancée aujourd’hui avec les métadonnées qu’elle dérobe dans nos courriels et nos portables, à l’image de ce que raconte Edgar A. Poe dans l’énigme de La lettre volée. Dès lors que celle-ci n’est pas cachée dans la reliure d’un livre, la doublure d’une veste ou sous une latte de parquet, rien ne la désigne comme information. Les policiers parisiens qui la lisent ne voient que la relation d’une passion amoureuse ; et s’ils avaient été affranchis de l’identité des amants, c’est alors que le scandale était public et la lettre inutile. Le vers de Verlaine ne veut rien dire par lui-même, c’est sa diffusion en boucle qui indique à l’Abwehr qu’il a un sens caché, puisque comme le relevait François Jacob, « l’information mesure l’improbabilité du message mais en ignore le contenu sémantique ».
Nous croyons être tombés dans les rets de la NSA parce que, comme dans le planultime du premier Indiana Jones, elle met en cybercaisse des milliards de métadonnées qu’elle entasse dans de pharaoniques cathédrales numériques en attendant de pouvoir un jour les traiter. Mais elle est à l’image de Mazarin dans La fille de d’Artagnan, mettant ses espions à contribution pour déchiffrer une liste de blanchisserie, simplement parce qu’elle a été oubliée sur une table au soir d’un enlèvement sanglant. Sauf que ce n’est qu’une liste de blanchisserie.
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