Le clivage historique entre Juifs ashkénazes et sépharades s'est traduit par une incapacité mutuelle à comprendre le monde levantin. Le durcissement des positions politiques des uns et des autres ne laisse pas entrevoir de pistes d'ouverture à court terme.
Perspectives israéliennes à propos du Levant
An Israeli View of the Levant
The historical schism between Ashkenazi and Sephardi Jews has resulted in a mutual inability to understand the Levantine world. Hardening of political positions on both sides has, in the short term at least, left no possibility for reconciliation.
Du point de vue de l’État juif, il n’y a pas eu de véritable « recomposition » de son environnement arabe, encore moins de Printemps arabe. Au Liban, le Hezbollah pro-iranien continue d’occuper une place majeure et ses missiles, en quantité massive, sont toujours pointés vers Israël. En Syrie, Israël assiste en spectateur à l’affrontement de deux camps politiques envers lesquels il n’a guère de préférence. En Jordanie, Israël s’inquiète depuis longtemps d’une possible déstabilisation du régime hachémite par les fondamentalistes. Enfin, si l’armée égyptienne vaut mieux que les Frères musulmans, le Sinaï reste un repaire de forces militaires hostiles. L’avenir de l’Égypte reste très incertain. Bref, rien n’a beaucoup changé.
Lorsqu’on aborde la question du Levant, un mot très peu prononcé en Israël, il faut toujours se rappeler que la population juive de ce pays est composée de deux groupes distincts. D’une part, les Juifs originaires d’Europe et des États-Unis, les ashkénazes, qui furent historiquement les fondateurs du sionisme et de l’État, et d’autre part, les Juifs originaires du Maghreb et du Machrek, les séfarades, qui sont arrivés en Israël dans les années cinquante, à la suite de la décolonisation.
Les ashkénazes sont venus d’Europe centrale et orientale, poussés par l’idéologie nationale et par les terribles pogromes et persécutions qu’ils subissaient. Ces pionniers sont parvenus aux côtes de Palestine par vagues successives, à partir de 1880. Ils ne connaissaient absolument rien du pays et de la région levantine où ils venaient s’installer. Pour la plupart, ils avaient une image du Levant forgée par les siècles d’étude de l’histoire sainte et par l’idéologie sioniste qui décrivait cette contrée comme une « terre sans peuple » attendant depuis longtemps « le peuple sans terre ». La désillusion fut vive, lorsqu’ils s’aperçurent en arrivant que ce pays était inhospitalier, aride, sans ressources naturelles, et qu’il était en fait habité par une large population autochtone avec laquelle ils n’avaient strictement rien en commun. Ces premiers arrivants juifs comprenaient l’ensemble du Proche-Orient à l’aune de ce qu’ils voyaient en Palestine : de pauvres fellahs, pas de rationalisme, pas de science, pas de culture occidentale. Très vite, l’attitude des pionniers fut essentiellement défensive : il fallait se défendre, se prémunir contre l’hostilité de ce Levant arabe, en préservant la culture d’origine des Juifs d’Europe, et surtout en créant des milices de défense militaire. C’est ainsi que l’Hashomer (Le Gardien), puis la Haganah (l’Organisation de Défense) furent créés pour protéger la population pionnière de son environnement. Cela ne veut pas dire que ces pionniers n’étaient pas influencés par leur environnement arabe : au contraire, tant par leur façon de s’habiller que de monter à cheval, leur apprentissage des dialectes locaux que leurs habitudes culinaires, les « Gardiens » juifs de l’époque ressemblaient beaucoup aux bandes militaires palestiniennes. Il y a, dans la littérature pionnière de ce temps-là, beaucoup de romantisme et même d’identification au courage des « hommes du désert ». Des garnements Sabras comme Moshe Dayan ou Igal Allon se conduisaient comme les adolescents arabes qu’ils côtoyaient et souvent admiraient.
Il reste 69 % de l'article à lire