La faiblesse constitutive de l'État dans la géographie complexe du Levant reste un frein à l'émergence de la paix et donc du développement pacifié de la région. La crise actuelle qu'a ouvert le Printemps arabe risque donc de perdurer.
Le Levant de demain : retour vers le futur ?
Tomorrow's Levant: Back to the Future?
Constructional weaknesses among states in the highly complex geography of the Levant continue to hold back any move towards peace, and therefore towards any peaceful development in the region. The current crisis that began with the Arab Spring is likely to continue.
Le Proche-Orient se trouve plongé dans une distorsion temporelle. De décennies de stabilité presque figée, il est passé, depuis 2011, à une période d’incertitude totale. Les États sont contestés de l’intérieur comme à l’échelon régional ; les frontières semblent devenir poreuses et les croyances de longue date au sujet de la région sont ébranlées. Ce que beaucoup interprètent comme une implosion orientée vers l’avenir, ou aimeraient le voir comme tel, est en fait, à bien des égards, un retour aux vieux débats. Depuis que le souffle de l’indépendance a atteint le Levant après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs questions essentielles alimentant les tensions passées et actuelles demeurent sans réponse, et continueront de hanter la région tant qu’elles le resteront. L’évolution future dépend donc entièrement de ces lignes de fracture entrelacées que sont la faiblesse de l’État, l’existence d’idéologies transnationales et une stratification économique inégale aboutissant à des violences confessionnelles.
Première ligne de fracture : la faiblesse de l’État
Comme nombre de jeunes États, les États arabes sont relativement faibles du point de vue de leur légitimité et de leur souveraineté. Ce n’est pas uniquement lié au fait qu’ils ont vu le jour de façon artificielle à la suite des accords de Sykes-Picot de 1916 divisant la région en différentes zones d’influence anglo-françaises ; ce qui a joué un rôle plus important, c’est plutôt le fait que la création de ces États a précédé l’identité nationale dans la région, et non l’inverse. Bien sûr, les États peuvent aussi attiser le nationalisme, mais cela exige du temps et des efforts constants. La légitimité de l’État n’est néanmoins pas uniquement le résultat d’un sentiment d’appartenance nationale ; elle se gagne également par la façon dont l’État sert ses citoyens. Cela inclut évidemment la sécurité et les prestations sociales, mais il est aussi possible de l’obtenir en permettant la représentation citoyenne. Les États qui font l’objet d’une défiance dans ces trois domaines – en raison de faibles taux de développement, de conflits constants et d’un système autocratique – obtiendront difficilement une légitimité aux yeux de leurs citoyens. Ils s’appuient donc sur d’autres méthodes, telles que blâmer les étrangers ou instiller une idéologie qui trouvera un écho auprès de la population. Tous ces aspects se sont vérifiés à divers degrés dans les États du Proche-Orient tout au long du XXe siècle et sont particulièrement d’actualité aujourd’hui. Le Printemps arabe, qui résulte en partie de la faiblesse du statut d’État, l’a affaibli davantage.
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