Billet - Wikileaks : Allo ! Le plombier ?
Le chevalier Assange, vêtu de probité candide et de lin blanc, s’est mis en tête de pourfendre les puissants, dévoilant, grâce aux moyens actuels d’intrusion et de diffusion, leurs turpitudes. On ne sait, à vrai dire, s’il s’est mis cela en tête ou si, zombie d’Internet comme on dit rat d’égout, il n’a fait que réaliser ce qu’Internet permet. Plus étonnant que la performance technique est l’enthousiasme que celle-ci a soulevé dans la populace numérique et le soutien que d’autres zombies ont apporté au trublion dans les tracas que la justice lui cause. Un « collectif » fort bien nommé Anonymus s’indigne de voir Julian pris à son propre piège et ses petites médiocrités à leur tour dévoilées. La délicatesse n’étant pas le fort de notre époque, nul n’ignore désormais les défaillances caoutchoutières qui perturbèrent, dit-on, les galipettes julianesques.
Venons à plus haut, et à la transparence, vertu moderne dont chacun se réclame. Vertu ou nuisance, voilà une bien grande question, posée d’abord aux gouvernants. Le secret qu’on leur impute à crime était la condition même de leur gouvernement. « Si l’on veut se conserver l’admiration publique, dit Balthasar Gracian (1601-1658), il n’est point d’autre moyen pour y réussir que de se rendre impénétrable sur l’étendue de sa capacité ». Suivre le conseil du subtil jésuite est-il devenu impossible ? Il en est, et fort haut placés, qui le pensent : sachant que tout se sait, ils tiennent à honneur de ne rien celer. Au demeurant, les fuites d’eau de Wikileaks sont-elles si nauséabondes ? Ne peut-on tout bonnement se réjouir de la liberté de ton de nos diplomates et du bon temps qu’ils s’accordent lorsqu’ils se croient entre eux ? Bah ! dit le brave homme, costume trois-pièces et chaussettes de soie, ces gens-là sont comme nous !
Élargissant la réflexion au-delà du pouvoir, on verra que c’est appliquée au tout-venant que la transparence est le plus redoutable. Les Occidentaux voient d’un mauvais œil la politesse arabe, la tenant pour hypocrisie. C’est ne pas voir la leur qui, quelque dégradée qu’elle soit de nos jours, procède du même principe. Pas de société qui tienne, et même la plus réduite, si l’on se dit en face ses quatre vérités. Élargissons toujours : sans une frontière au-delà de laquelle commence l’inconnu, fini le rêve, sans l’inconnaissable l’homme n’est que chose. Un pas encore : notre univers ne tient debout que dans la discrétion. Heisenberg dixit, les particules élémentaires, dont tout procède, ont elles-mêmes leur pudeur. Elles disparaissent dès qu’on veut les observer.
Les thuriféraires de la transparence seraient donc fossoyeurs d’univers. Pas si sûr ! Leurs vitupérations sont à sens unique. Vilipendant les méchants qui se dissimulent, ils masquent eux-mêmes quelques vérités essentielles derrière le voile opaque du politiquement correct. ♦