L’action terrestre reste au cœur de la stratégie militaire. Il serait illusoire de croire que des frappes aériennes à distance sont à même de résoudre les conflits d’aujourd’hui. Au risque d’oublier les sacrifices de nos soldats d’hier.
Le langage des armes
The Language of Arms
Land action remains at the heart of military strategy. It would be an illusion to believe that these long distance air strikes are as capable of resolving the conflicts of today, at the risk of forgetting the sacrifices of our soldiers of yesterday.
De la Première Guerre mondiale, dont nous commémorons le centenaire, le stratège a, de nos jours, peu à retenir et le politique beaucoup. À vrai dire c’est chose faite, et si bien faite qu’on n’est plus conscient du formidable changement qui s’en est suivi, encore qu’il ait fallu, pour le confirmer, y revenir vingt ans après. De cette guerre stupide (la Première), les poilus avaient compris la stupidité. Aussi bien s’étaient-ils trouvé eux-mêmes un but de guerre : c’était « la der des ders », ce qui pouvait justifier des héroïsmes aujourd’hui inconcevables. En 1945, enfin, tout est dit : en Europe – et le monde devrait lui en savoir gré – la guerre est morte par overdose. Preuve par l’absurde : alors que, durant les quarante-cinq ans de la guerre froide, l’obstination des Soviétiques rendait plausible qu’elle devînt chaude, rien ne s’est produit de semblable et il n’y a pas que la présence de l’arme nucléaire pour expliquer ce miracle.
Reste que les hommes, étant ce qu’ils sont, ont beaucoup de mal à se déshabituer des passions et commodités que la guerre leur offrait. Les Occidentaux continuent à se faire peur, s’inventant des ennemis nouveaux et portant, loin de chez eux, leurs feux. Quels feux ?
Ceux-ci sont de deux sortes, et fort différents l’un et l’autre : terrestres ou aériens. Les forces terrestres s’inscrivent clairement au sol et s’engagent à grands risques. Expédiées au loin, on ne sait quand on pourra les récupérer. C’est dire que leur engagement signe l’intérêt que l’on porte à l’affaire. Aussi bien, comme il ne s’agit plus de défendre nos frontières – quoi qu’on en dise pour affoler le bourgeois – il est rare qu’on les engage. L’action aérienne est de toute autre nature. Dans les petits conflits où nous la menons, elle est presque sans risque. Aussi ne s’en prive-t-on pas. Dès lors qu’on imagine des raisons d’intervenir, l’emploi de la force aérienne, faute de régler le problème, manifeste notre inépuisable compassion pour les malheureux du monde. Elle est un signe, un « élément de langage » selon l’expression à la mode. C’est ce que l’on croit, mais le langage est faible, et bien éloigné de celui qu’exprime l’envoi de troupes au sol.
Il reste 32 % de l'article à lire