Le principe de neutralité revendiqué par certains États a marqué les relations internationales au cours des derniers siècles. À l’heure où les conflits n’obéissent plus aux règles classiques interétatiques, où la mondialisation n’empêche pas les déferlements de violence, la neutralité est-elle encore un concept pertinent au XXIe siècle ?
La neutralité a-t-elle encore un sens ?
Does Neutrality Still Have a Meaning?
The neutrality claimed by certain States has marked international relations over the past centuries. At a time when conflicts no longer obey classic interstate rules and where globalization does not prevent violence from unfolding, is neutrality still a relevant concept in the 21st century?
La notion de neutralité est un concept mis en évidence en mathématiques ; l’élément neutre est celui dont la présence n’a aucune influence sur tous les autres éléments d’un ensemble. Dans une addition ou dans une soustraction, le zéro est neutre, il n’a pas d’incidence sur le résultat ; il en va de même du un en tant que multiplicateur ou diviseur. Étymologiquement, le mot neutre est composé de ne et uter, neuter signifiant « ni l’un, ni l’autre » ; il marque l’indécision, le choix non assumé ; il renvoie à la notion d’indifférence neutralis « neutre » qui a évolué en neutralitas dans le latin médiéval. Dans le domaine des relations internationales, la neutralité d’un État signifie que celui-ci refuse de prendre parti et, bien sûr, de s’engager en particulier en cas de conflit ; toutefois, si la neutralité est reconnue en droit international, il n’en existe pas de définition juridique et la maîtrise de ce concept est plus complexe qu’il n’y paraît. Aussi, l’approche qui nous semble être la plus pertinente relève de la systémique ; à partir de l’exemple de la Suisse, il est intéressant d’observer comment le principe de neutralité, tel qu’il a été ensuite théorisé par le droit international, trouve ses fondements dans la pratique des relations internationales, particulièrement en Europe et dans l’évolution des pays se proclamant neutres face à des voisins belliqueux.
La Suisse « maître étalon » de la neutralité
Si la Suisse fait souvent figure de « maître étalon » de la neutralité jusqu’au XVIe siècle, les cantons sont souvent partie prenante aux conflits opposant les États européens ; la prise en compte de leur neutralité dans les relations internationales modernes est une des conséquences de la bataille de Marignan et du Traité de Fribourg du 7 novembre 1515 ; 7 cantons sur 12 acceptent de ne plus combattre les Français recevant des sommes conséquentes en contrepartie de cette « paix perpétuelle ». Les Suisses se tiennent désormais à l’écart des opérations militaires, mais ils n’en fournissent pas moins des armes aux belligérants. Il faut attendre la fin de la guerre de Trente Ans et les Traités de Westphalie, pour que les puissances européennes reconnaissent la « neutralité » de la Suisse. Avec l’intervention, en 1798, des troupes françaises, la Suisse se transforme en une éphémère république helvétique et doit renoncer à sa neutralité. En 1812, l’Empereur octroie l’Acte de médiation rétablissant la Confédération ; mais la Suisse est aussi obligée de fournir à l’armée française un contingent de troupes. Après la défaite française de Leipzig, en octobre 1813, le pays proclame à nouveau sa neutralité, même s’il est occupé par les armées de la coalition antifrançaise. Le Traité de Paris du 20 novembre 1815 reconnaît « la neutralité perpétuelle » de la Suisse et l’inviolabilité de son territoire ; elle accueille plusieurs organisations internationales dès la fin du XIXe siècle ; à l’issue de la Première Guerre mondiale, dans laquelle elle n’a pas été impliquée, s’y installe la Société des Nations, dont elle devient membre le 20 mars 1920.
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