Billet - C’est d’la triche !
Nous allions autrefois à Cesson-Sévigné. C’était le bout du monde, terminus du tramway qui, de Rennes, nous y amenait. À mi-route était une station dite Tournebride, opportunité offerte aux voyageurs déçus. Jamais nous n’y descendîmes : Cesson était un village charmant. La route de Paris enjambait la rivière par un pont en dos d’âne.
Jugez de l’émotion qui me saisit lorsque j’appris que Cesson-Sévigné possédait aujourd’hui un club de handball de haut niveau et que celui-ci était au cœur d’un scandale de paris truqués. Fort heureusement, le village qui m’est cher n’était pas en cause, et seulement son adversaire, montpelliérain, à propos d’un match décisif qui opposait les deux équipes. Cesson était blanchi, Montpellier non. Laissons la justice faire son travail, dit-on en pareil cas. Des joueurs auraient parié, ou fait parier leurs proches, sur leur propre défaite. Cela serait déjà vilain, moins pourtant que ce soupçon-ci : ayant fait miser sur leur défaite, les joueurs n’ont-ils pas œuvré – ou désœuvré – pour assurer celle-ci ? Laissons la justice… et constatons seulement que nous tombons de haut. Le handball était devenu, J.O. aidant, la discipline reine, jonglerie aérienne et vertueuse pratiquée par des anges virevoltant au-dessus du plancher autour de leur ballon. Les anges sont tombés, dure est la chute.
Le sport fut longtemps, en sa « noble incertitude », l’un des temples de l’honneur. Bien avant le handball, le cyclisme comblait notre attente. La tricherie, que personne à l’époque n’eût imaginée, y semblait impossible. Vint Lance Armstrong, dont la performance oblige à un néologisme : heptuple vainqueur ! Les Français n’aiment pas les vainqueurs excessifs. Ils préfèrent les seconds, façon Poulidor. L’heptuple était américain et peu amène. Nous sommes, là-dessus, proches des Pueblos, peuplade d’Amérique du Sud dont le goût pour la compétition a intéressé nos anthropologues. Ceux-ci rapportent que, dès qu’un de leurs champions accumule les succès, ils l’accusent d’avoir partie liée avec les dieux et, pour l’en punir, le suspendent par les pouces à une haute branche. Ainsi auraient-ils fait d’Armstrong, non sans raison : n’a-t-il pas honoré le divin Épéhault ? Venons à plus petit, ou plus grand.
« C’est d’la triche ! », l’indignation retentissait jadis dans les cours de récréation lorsqu’au jeu de billes, un gamin s’attribuait indûment un superbe calot. L’indignation était à la mesure de l’infamie. Il n’en va plus ainsi. Lors du bac de 2011, un sujet de mathématiques fut divulgué sur Internet. Du scandale, on tint rigueur à l’administration plus qu’aux auteurs du forfait. Certes, on connaît les facilités qu’offrent aux praticiens de l’antisèche les techniques numériques. Encore faut-il à ceux-ci conjuguer la technique et le vice, Internet et amoralisme. Alléluia ! Nos gouvernants viennent de décider d’enseigner la morale aux bambins. Sans doute, le mot étant tenu pour obscène, et même par les bons Chrétiens, habillent-ils la chose autrement. Mais la chose elle-même, qui en décide ? Pas eux, tout de même !