Billet - COIN COIN
Retournons dans l’Espagne de 1809, décidément laboratoire des conflits à venir, de Saragosse à Guernica. On connaît la série de gravures qu’en fit Goya, dans la lignée des horreurs de la guerre de Callot. Et pourtant on y tenta dès cette époque la conquête des cœurs et des esprits, la même qu’en Irak et en Afghanistan, le management militaire a baptisée COntre INsurrection, hésitant dix années durant, entre Lyautey et sa pacification – dès lors qu’on veut bien oublier nos razzias dans le Sud marocain qui s’éternisèrent jusqu’au milieu des années 1930 – et la guerre du Rif où l’on écrasa les villages à coups de FT-17, de 75 et de Spad.
On en a oublié un fondamental, qu’il faut encore et toujours se remettre à l’esprit : lorsqu’on se bat chez les autres, ce sont les autres qui sont chez eux, et pas nous.
Alors revenons à davantage de modestie, celle que les improbateurs de cet esprit de système déjà dénoncé par Montaigne et Pascal nous auront fait perdre. Relisons le général Kellermann, fils du héros de Valmy, un de ces divisionnaires à qui l’Empereur savait pouvoir déléguer pour compenser les carences de certains de ses maréchaux, qui tenta précisément de retenir Ney à Waterloo, et qui, de son quartier général de Valladolid, écrivait en novembre 1809 : « La force dont je dispose est évidemment insuffisante pour se garder contre les essaims nombreux de brigands et les fortes bandes organisées qui infestent le pays, et qui, par leur mobilité et surtout la faveur des habitants, échappent à toutes les poursuites et reviennent derrière vous un quart d’heure après votre passage. C’est le système de chicane qui paraît avoir été adopté par les insurgés. Permettez-moi de vous déclarer franchement mon opinion. Ce n’est point une affaire ordinaire que la guerre d’Espagne ; on n’y a point, sans doute, de revers, d’échecs désastreux à craindre, mais cette nation opiniâtre mine l’armée par sa résistance de détail. C’est en vain qu’on abat d’un côté les têtes de l’hydre, elles renaissent de l’autre et vous ne parviendrez de longtemps à soumettre cette vaste péninsule. Elle veut gagner du temps et nous lasser par sa constance. Nous n’obtiendrons sa soumission que par l’anéantissement de la moitié de la population. Tel est l’esprit qui anime cette nation, qu’on ne peut même pas s’y créer quelques partisans. En vain use-t-on avec elle de modération, de justice, à peine cela vous vaut-il quelque considération, quelques épithètes moins dures : mais dans un moment difficile, un gouverneur ou un chef quelconque ne trouverait pas dix hommes qui osassent s’armer pour sa défense ».
Les Soviétiques, en se retirant d’Afghanistan, avaient laissé un gouvernement qui tint encore trois ans : combien de temps faudra-t-il aux barons de la drogue à qui nous confions les clefs du pouvoir, pour les abandonner aux taliban ? Lame ducks, diront les Américains. Allons, mes seigneurs, faites « coin coin » !