Billet - La fin…
La remarquable étude d’André Thiéblemont sur « La fin du régiment », parue en ligne fin novembre 2013 à l’Institut français des relations internationales (Ifri) – la lecture en est indispensable – amène à poser de nouvelles questions. Ainsi, le développement du Groupement tactique interarmes (GTIA) d’un côté, et des Bases de Défense (BdD) de l’autre, font que « le chef de corps n’est plus maître de son corps ». Le régiment n’a plus d’objet tactique, plus de cohérence organique, et la Politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP) – non mentionnée par l’auteur – l’empêche même d’avoir une cohérence d’équipement. Le régiment n’est plus qu’un réceptacle culturel dont l’unique objet consiste à fabriquer de l’identité, ce qui explique la multiplication de fourreaux d’épaules, de coiffures bizarres et autres ceintures de flanelle colorée qu’on observe depuis une dizaine d’années : autrement dit, il n’y a plus « d’uniforme » dans l’Armée de terre, puisque chaque unité cherche d’abord à se distinguer, croyant par là atteindre une identité.
Allons plus loin que Thiéblemont : que signifient encore les armes ? Infanterie, cavalerie, artillerie n’ont plus de cohérence tactique, ne servent plus à la gestion des hommes et ne constituent plus que des facteurs d’identification de début de carrière, lorsqu’il s’agit pour les jeunes officiers d’être membres de la communauté.
Tant qu’à faire, à quoi servent encore les armées ? Sont-elles encore déterminées par le « milieu » qui les fit naître ? Sont-elles encore de terre, de mer, de l’air ? L’incongruité à évoquer l’armée de mer suffit déjà à souligner à quel point ce déterminant du milieu a disparu. Les armées ne sont plus que des héritages organiques qui se perpétuent au travers des réformes. De plus en plus difficilement, d’ailleurs : les raisons tactiques ou stratégiques les remettent en question. Dissuasion, forces spéciales et désormais logistiques ne sont plus propres aux armées, mais « transverses » comme le dit la novlangue. Quant aux réformes organiques, elles multiplient les démembrements : après les services historiques (santé, essence), voici qu’on en crée d’autres (commissariat) ou qu’on se débarrasse de fonctions jugées « non propres au cœur de métier » (infrastructure).
Régiments, armes, armées, tous à crever de mort lente, zombies dont seule la carcasse demeure apparemment active quand ils ont perdu toute trace de vie, comme dans un mauvais film de série B. Le problème, c’est que ce n’est pas un film.