La société internationale après la guerre froide
La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la désintégration de l’empire soviétique en décembre 1991 ont brusquement fait basculer le monde dans le XXIe siècle avec une décennie d’avance sur le calendrier. La fin du système des blocs et la disparition de l’ordre bipolaire issu de Yalta annonçaient l’événement d’un nouvel ordre international. Sept ans plus tard, l’après-guerre froide se caractérise plutôt par un grand désordre international où le dualisme a cédé la place à un monde « multirisques » en pleine mutation et totalement imprévisible. Cette nouvelle donne géopolitique est analysée en détail dans l’ouvrage pédagogique que nous propose Daniel Colard, professeur de droit à l’université de Franche-Comté (Besançon), membre du Centre d’études de défense et de sécurité internationale (CEDSI) à la faculté de droit de Grenoble II et auteur fidèle de la revue Défense Nationale.
Ce n’est pas l’Ouest qui a basculé vers l’Est, mais le contraire. C’est la victoire des droits de l’homme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui a conduit à l’éclatement du mouvement communiste internationale et à la déstabilisation de l’ordre bipolaire. Les « trois glorieuses » (1989-1990-1991) ont ébranlé les fondements mêmes de notre société. Ce séisme politique d’une amplitude considérable a eu des conséquences « qui n’ont pas fini de se répercuter sur l’axe Est-Ouest d’abord, Nord-Sud ensuite, car l’onde de choc partie de Moscou en 1985 ne manquera pas d’affecter les relations du triangle Est-Ouest-Sud ». Ce constat réaliste est accompagné d’une analyse pertinente de la thèse sur « le choc des civilisations ». Dans l’après-guerre froide, des conflits de cultures devraient remplacer les vieux antagonismes classiques. Les intégrismes religieux et les différences culturelles risquent de découper notre planète en plusieurs aires conflictuelles. « Le choc des civilisations » pourrait ainsi constituer la grande affaire du prochain siècle.
Cette affirmation est complétée par une série d’études sur le nouveau rôle de l’Onu et par des réflexions sur différents sujets qui ont marqué la géopolitique internationale : crise rwandaise, évolution de la situation en Haïti, complexité du conflit yougoslave, développement du processus de paix au Proche-Orient, organisation de la sécurité européenne, enseignements de la crise somalienne et de la guerre du Golfe, bilan des traités de désarmement et des accords de maîtrise des armements, stratégies de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, nouvelles relations de l’Alliance atlantique avec l’Est, etc. Les photographies comparées du Nord et du Sud à l’aube du XXIe siècle fournissent également au lecteur des données intéressantes sur l’état de la planète. Elles font notamment ressortir les grandes disparités économiques qui se mesurent essentiellement dans l’écart croissant entre les riches et les pauvres. Pour l’auteur, la recomposition de l’échiquier international a donné naissance à un monde tripolaire qui est d’abord incarné dans le fameux G7. Cette organisation comprend en effet trois ensembles : deux États américains (États-Unis, Canada), quatre États européens (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie) et un pays de l’Asie-Pacifique (Japon). Dans le domaine institutionnel, ces trois zones se sont structurées sur trois monnaies fortes : le dollar, le Mark (bientôt remplacé par l’euro ?) et le yen. Aujourd’hui, la puissance économique et financière du G7 est sans équivalent. Avec 12 % de la population mondiale, il assure 55 % de l’activité économique, 52 % des exportations internationales, fournit 70 % de l’aide publique aux pays en voie de développement et détient 45 % des réserves monétaires du globe.
Daniel Colard nous présente enfin une analyse judicieuse du nouveau statut international de la France. « Grande moyenne puissance » ou « puissance mondiale moyenne », le pays des Lumières et des droits de l’homme croit toujours qu’il a un « message universel » à délivrer au monde. Fille aînée de l’Église et patrie de la Révolution de 1789, la France prétend être porteuse de certaines valeurs. À ce titre, elle entend s’engager fortement dans les affaires internationales et jouer un rôle majeur dans le développement de certains processus de paix. La république gaullienne a représenté la grande manifestation de cette politique de grandeur parce que son fondateur avait une certaine vision de l’histoire, un sens de l’État et surtout un sens de l’honneur. Pour l’auteur, le statut international de la France a subi une forte érosion, mais les différents gouvernements ont continué à cultiver « l’exception française » qui s’exprime notamment dans la zone d’influence que nous avons toujours en Afrique (coopération bilatérale et francophonie) et dans de nombreuses régions du globe (Polynésie, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Martinique, Guadeloupe, Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon). Ce rayonnement est perceptible grâce à un important déploiement en dehors de la métropole (environ 60 000 hommes sous la forme de « forces de souveraineté » et de « forces de présence ») et par une participation active dans certains organismes et organisations (Eurocorps, Onu, Otan). Sur ce sujet, il est bon de rappeler que la France est l’un des principaux contributeurs de « soldats de la paix ».
En résumé, le livre de Daniel Colard traite des nombreuses questions qui sont posées par le nouvel environnement géopolitique et géostratégique. Dans cet ouvrage complet, les étudiants des instituts d’études politiques et des relations internationales trouveront des informations synthétiques qui leur permettront de mieux comprendre certains aspects du « grand village planétaire ». Privé de repères stables et de systèmes régulateurs, le monde d’aujourd’hui est en effet à la recherche d’un autre équilibre et d’une « architecture globale » afin de relever les formidables défis du prochain millénaire. ♦