Paroles de soldat. Lettres à un jeune officier
Encensé par la presse internationale depuis son coup d’éclat à Srebrenica en mars 1993, celui qui fut surnommé à cette époque le « général courage » a conservé sa modestie naturelle, sa franchise légendaire et surtout ses convictions. Dans Paroles de soldat, le général Morillon s’adresse à un jeune officier pour l’informer des grandeurs et des servitudes de la carrière militaire. L’ouvrage dépasse cependant le cadre strictement militaire ; il révèle un profond humanisme souvent teinté d’une émotion certaine.
À cette occasion, l’auteur se penche sur sa carrière, son baptême du feu comme sous-lieutenant pendant la guerre d’Algérie, sa participation au putsch d’Alger à la tête d’un peloton du 1er REC (Régiment étranger de cavalerie), son commandement du 1er Régiment de cuirassiers à Saint-Wendel et son expérience en Bosnie à la tête des casques bleus. Sur ce chapitre particulièrement délicat, le général Morillon rappelle que ses prises de position ont toujours été motivées par les deux objectifs qui lui avaient été assignés : assistance à personnes en danger et préparation d’une paix que tout le monde espérait prochaine par l’application du plan Vance-Owen. L’ancien responsable de la Forpronu déplore cependant qu’il ait fallu beaucoup trop de temps pour comprendre que la neutralité dans ce type d’action condamne « à une infamante passivité ». Dans ce genre d’opération, les enseignements sont clairs : il faut absolument faire progresser le droit international et mieux fixer les limites de l’intolérable, à partir desquelles l’emploi de la force doit être engagé, et qui ont été si longues à définir en Bosnie.
Soumettant une réflexion sur l’organisation de l’armée française, l’auteur coupe court aux rumeurs de complexe militaro-industriel et donne des conseils de commandement. Le chef n’est pas un héros, mais un guide : « S’il n’est pas digne, s’il n’a pas su se faire respecter, alors ses hommes ne le suivront pas ». Dans son analyse, l’ancien commandant de la FAR (Force d’action rapide) insiste également sur la nécessité de construire une Europe forte. Pour les militaires, cela veut dire « donner à l’Europe la puissance sans laquelle elle s’est révélée incapable en Yougoslavie de résoudre ses propres problèmes ». Cela veut dire aussi « développer l’eurocorps, déjà créé, et donner vie à ce pilier européen de la défense que se veut l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ».
La réforme de la conscription n’échappe pas à sa vision de l’armée de demain. Tout en respectant les choix politiques, le général Morillon évalue les conséquences de cette transformation de grande ampleur. Selon l’auteur, « il serait irresponsable de poser aujourd’hui pour postulat que notre territoire ne sera plus jamais menacé… Or préparer la défense de ce territoire, c’est préparer la défense des villes contre toutes les menaces, y compris celles du terrorisme ». Le général Morillon propose ainsi la création d’une « garde nationale » composée, dans un premier temps, à partir des ressources actuelles de réservistes provenant de la conscription, progressivement remplacés par certains engagés rendus à la vie civile. Ces personnels, dont l’encadrement pourrait être renforcé par un petit nombre d’officiers et de sous-officiers d’active de la gendarmerie ou de cadres de la police, seraient mobilisables sur place, dans leur propre ville. Ils en prépareraient la défense à l’occasion de brèves convocations périodiques, à l’instar de ce qui se pratique actuellement pour nos unités de réserve. À cette occasion, les lecteurs noteront l’hommage appuyé aux appelés qui ont joué un rôle majeur, en particulier lors des interventions récentes (notamment en Bosnie) : « Je suis peut-être mieux placé que d’autres pour dire qu’ils ont fait l’admiration des observateurs étrangers et suscité ma fierté de les avoir sous mes ordres ».
En résumé, le message de ce soldat humaniste est clair : c’est l’amour de la patrie et la foi en un idéal qui doivent guider tout militaire de carrière. Dans cette relation épistolaire avec un jeune officier, tous les lecteurs verront le témoignage poignant, mais toujours serein, d’un de ces chefs militaires qui ont su réconcilier la nation et son armée. La plupart des commentateurs partagent un point de vue identique ; la qualité de ce livre événement repose essentiellement sur un constat : c’est en sage et non en polémiste que le général Morillon nous fait part de sa riche expérience et de ses réflexions. ♦