L’analyse de la notion de puissance et des critères associés appliqués à un État permet de théoriser cet aspect essentiel des relations internationales et de comprendre ainsi les mécanismes conscients ou subjectifs régissant les rapports entre pays puissants et pays alliés.
Puissance et légitimité : deux faces d’une même pièce
Power and Legitimacy: Two Faces of the Same Coin
The analysis of the notion of power and the criteria associated with it applied to a state permits us to theorize about this essential aspect of international relations and to thus understand the mechanisms, conscious or subjective, governing the relationships between powerful countries and allied countries.
En 1964, K. J. Holsti souligne quatre dimensions de la puissance : les capacités, la dimension relationnelle, le processus et l’établissement de l’agenda (1). De cette manière, l’auteur ajoute de nouveaux critères à la définition strictement matérielle de la puissance, définition qui s’en tenait principalement à l’agrégation des ressources économiques et militaires. En effet, la discordance de la relation entre la somme des capacités nationales et les succès politiques ou militaires pose la question des facteurs de puissance ; où, comme Andrew Mack l’a exprimé : « Pourquoi de grands États perdent-ils de petites guerres » (2). S’il existe bien un lien entre un contexte, le type de ressources mobilisées (3) et la manière d’utiliser ces ressources, la dimension relationnelle est au moins aussi importante pour comprendre la puissance. En effet, la puissance est définie traditionnellement comme « la capacité d’un État A à exercer sur un État B une influence lui permettant de faire faire à B ce qu’il n’aurait pas fait de lui-même ». Cette définition permet de mettre à jour deux aspects de la puissance : la dimension capacitaire et la dimension relationnelle. Cette relation peut se traduire de manière coercitive ou coopérative, par l’imposition ou par la légitimation de l’influence qu’un État A détient sur un État B. L’influence est donc ici étudiée comme un processus par le biais duquel l’État A mobilise ses ressources matérielles et immatérielles pour que l’État B agisse dans le sens souhaité. Cela présuppose une asymétrie dans la relation de puissance, une hiérarchie permettant à A de s’affirmer comme acteur dominant, voire comme superpuissance. Néanmoins, si A se contente de dominer par la force, il lui faudra déployer des quantités importantes de force pour asseoir et conserver cette domination. Au contraire, s’il parvient à rendre sa domination légitime aux yeux de B, ce dernier modifiera son comportement pour le faire correspondre aux attentes de A. S’ajoute alors une dimension temporelle de la puissance : non seulement A génère de la puissance pour asseoir son influence, mais il cherchera également à maintenir cette influence sur le moyen ou long terme.
Si l’on suit l’école réaliste offensive, plus la puissance dominante acquiert de la puissance, plus elle cherchera à étendre son influence. Petit à petit, sa politique aura pour objectif d’établir un ordre régional ou international assurant sa position de superpuissance, tissant ainsi des liens avec des États secondaires afin de leur faire accepter cette domination. C’est ainsi que l’asymétrie de puissance entre les États-Unis et leurs alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale a permis aux premiers de s’affirmer comme puissance dominante et de construire un ordre international hiérarchique répondant à leurs attentes et leurs intérêts. Dès lors, remarque Flemes, le statut de puissance est un phénomène social basé sur la reconnaissance et l’acceptation de l’autorité de la puissance dominante (4). C’est ainsi que Keohane parle de jeu psychologique entre la puissance dominante et les autres États (5), jeu indispensable pour le maintien de la domination. Partant de ce constat, la mise en place d’un ordre international nécessite une légitimation de la puissance de l’État dominant par les autres États. L’approche constructiviste se focalise sur l’intersubjectivité des relations comme origine du système international. Nous présupposons donc une causalité où la construction sociale précède la mise en place des structures et la définition des intérêts. Autrement dit, les relations entre les États sont à la base de la construction d’un ordre international donné. Dès lors, puisque le système international est un système socialement construit par les pratiques des acteurs (6), l’État, en tant que principal acteur en politique internationale, devient naturellement le référent théorique pour l’étude du système dans son ensemble.
Comme observé ci-dessus, cette prédominance de l’État comme référent s’accompagne d’une hiérarchie entre les États dans le système international actuel. L’asymétrie qui en résulte se traduit notamment par une position de leader pour les États-Unis, lesquels ont des followers – les alliés et autres États satisfaits de l’ordre international – et font face à des États challengers ; les États qui remettent en question la position de superpuissance américaine, notamment la Chine et les États parias. La relation entre la puissance dominante et les puissances satisfaites et insatisfaites n’a pas été fréquemment étudiée dans les relations internationales, mais trouve une correspondance dans le secteur du management grâce à la relation leader-follower (7). À la base de cette approche se trouve la notion wébérienne de la « domination légitime » permise par la mise en place d’un système normatif consensuel, système contraignant dans lequel les croyances sont partagées entre le leader et les followers ; Habermas a développé cette notion de système normatif consensuel, en se basant sur la lecture wébérienne de la légitimité. Ainsi, la position de leader doit être reconnue et perçue comme légitime, pour que se tissent ensuite au sein du système des relations consensuelles donnant lieu à des sortes de « contrats sociaux » qui présupposent l’existence de normes et croyances collectives : c’est la « puissance constitutive de la reconnaissance » ; Richard K. Ashley note que « le pouvoir et le statut d’un acteur dépendent de, et sont limités par, la condition de sa reconnaissance au sein d’une communauté dans sa totalité » (S. Guzzini, ibidem, p. 173). Il s’agit bien d’interactions interétatiques, et non de la volonté individuelle d’un seul État, qui établissent le système international. Le processus est en ce sens dynamique et intersubjectif. Dès lors, toute étude de la puissance dans sa dimension relationnelle doit prendre en compte les réactions et réponses des États en position secondaire. Il est en effet important que les États intégrés à cet ordre en soient satisfaits, afin de ne pas s’élever en challengers du système : la superpuissance domine parce que les États satisfaits perçoivent comme légitime leur position d’infériorité dans le système, et décident d’aligner leur comportement et leurs intérêts sur ceux de la puissance dominante.
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