Billet - Nous, Français par grâce de nature...
Comment peut-on être Français ? S’offusque le monde global. Nous avons fait pourtant tous les efforts possibles pour lui complaire ; mais du démantèlement de l’héritage politique, social et militaire des maquis, à l’abandon de libertés si chèrement conquises depuis Bouvines, nous comprenons que, après la graisse et le muscle, c’est l’os que nous attaquons. Car voilà qu’on exige de nous, entre autres, la marchandisation du ventre et l’abandon du libre arbitre, laïc et romain.
Nous avons jusque-là survécu aux terribles épreuves d’une histoire millénaire où une gloire inégalée côtoie parfois la compromission la plus poisseuse et la honte la plus indélébile. Nous l’assumons et ça dérange tous ceux qui voudraient que nous équarrissions notre passé. Comment pouvons-nous remplir les bibliothèques du monde entier et collectionner les Nobel de littérature tout en étant différents, cultiver cette différence et en faire le fondement de notre foi inébranlable dans l’égalité en droit des individus, des nations et des races ? Tout simplement parce qu’on ne peut préjuger de celui de nos défauts ou de celle de nos qualités qui nous permettra de surmonter cet imprévu face auquel tant d’autres civilisations ont échoué. C’est tout le génie du syllogisme pré-darwinien de notre Déclaration de 1789. Mais dans un monde qui « égalitarise » à marche forcée selon le principe jeffersonien que tous les individus sont créés semblables, qui l’accepte encore ?
Lorsqu’on lui demandait s’il était juif, Sir Charles Chaplin répondait qu’il n’avait pas cet honneur. Ceux des élèves-officiers repliés sur Meknès et chassés de l’Armée de l’air le 3 octobre 1940, firent valoir auprès de leur hiérarchie un autre privilège unique que Vichy ne pouvait leur abolir, celui d’être Français. « Monsieur, auraient-ils pu écrire à la suite d’Alain (Propos du 26 août 1922), je suis bien tranquille là-dessus et n’en ai point le choix, ayant cette qualité que vous dites en inaliénable propriété. Vous demandez si je suis Français, mais c’est mal parler : je suis la France même pour ma part, et ceux qui veulent aimer la France doivent m’aimer moi aussi bon gré mal gré. Mais pour mon compte je ne peux aimer la France autrement que l’on peut s’aimer soi-même ; or j’ai appris qu’il ne faut point trop s’aimer soi-même et que c’est vilain et sot.
Nous, Français par grâce de nature, avons juré avant naissance de ne jamais priver ce pays-ci d’aucune de nos pensées libres ni d’aucun des ornements qu’y met notre humeur, ni de notre prudence que vous appelez imprudence et qui est cette assurance de soi qui permet aux autres d’être différents. Descartes m’est frère, mais Goethe ne m’est pas ennemi. La fidélité m’est substance et non attribut. C’est pourquoi je rirai de nos Académies si cela me plaît, je criblerai de flèches nos rois emphatiques, je sifflerai Saint-Saëns et j’aimerai Wagner. Mais j’avoue que cette liberté ne s’apprend pas en vingt leçons ».