Regards sur la politique de défense de la France depuis 1958
Le regard que porte le général Valentin sur la politique de défense de la Ve République est celui d’un combattant engagé dans tous les conflits de 1939 à 1962, et jusqu’en 1975, d’un responsable du plus haut niveau. En qualité d’adjoint au chef d’état-major des armées, et de commandant de la 1re armée, il a alors exercé une influence prépondérante sur le développement des armements classiques et nucléaires, l’organisation des forces, la mise au point des plans de feux nucléaires, et en liaison avec les Alliés des plans d’emploi des forces de manœuvre.
Les historiens seront donc particulièrement intéressés par son exposé de la genèse de l’atome militaire, de la politique d’indépendance du général de Gaulle face à l’hégémonie américaine et aux craintes allemandes, et surtout, des conditions d’engagement des forces françaises en Centre-Europe. C’est en effet lui qui a conclu les accords qui engageaient la 1re armée en réserve de contre-offensive de Cincent (arrangements Valentin-Ferber, prolongeant les accords Ailleret-Lemnitzer). Il rappelle ajuste titre que face à la menace d’une attaque soviétique qui excluait le recours au nucléaire et visait l’Atlantique, et donc la France, nos forces devaient s’engager tous moyens réunis, dans une seule direction et avec menace de recours à l’atome tactique.
Il est ainsi conduit à critiquer les dérives de la doctrine gaullienne, apparentes dès le Livre blanc de 1972, qui laissait planer des doutes sur notre détermination d’engagement aux côtés des Alliés, et sur le lien entre la manœuvre terrestre et le feu nucléaire. Cette dérive s’est accentuée avec l’affirmation d’une « stratégie de non-emploi (qui) reflète un esprit ligne Maginot qui n’a jamais inspiré le général de Gaulle », et avec les créations du 3e corps et de la FAR (Force d’action rapide), qui postulaient un morcellement des grandes unités dans au moins deux directions. Il approuve en revanche l’évolution américaine (AirLand Battle) qui, renouant avec l’esprit offensif, était mise en œuvre avec succès dans le Golfe.
Nombre d’indications révélatrices de l’évolution historique : divergences du couple franco-allemand, bataille à l’avant, recul des budgets militaires après les accords de Grenelle, consensus de surface sur la dissuasion, intéresseront le lecteur ; mais les données historiques ainsi mises au net ne constituent qu’un préliminaire à une réflexion sur l’avenir de notre défense, et un jugement objectif sur les orientations du Livre blanc et la loi de programmation de 1994 (fortement compromise aujourd’hui). Il n’est pas possible dans une note de lecture de tout aborder, et l’on se limitera à l’essentiel.
Sans négliger les risques qui subsistent à l’est de l’Europe, le général Valentin émet des doutes sur la priorité maintenue à la dissuasion anticités, et se prononce pour un armement nucléaire précis et de faible puissance, qui implique la reprise des essais. Il reste critique vis-à-vis d’une politique européenne de sécurité, illusoire en raison des intérêts divergents des États, et revendique l’indépendance des décisions, qui n’exclut pas la coopération dans la fabrication d’armements et les procédures opérationnelles. Dans cette optique, il propose une réorganisation des structures de l’Alliance, comportant un retrait du SACEUR, qui serait réactivé en cas de menace majeure, et la mise à la disposition d’un état-major de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) de forces désignées (earmarked).
Fermement opposé aux opérations humanitaires quand elles conduisent à la démoralisation des soldats et imposent la réduction des crédits d’équipement, il considère que le progrès technique n’élimine pas les anciennes formes de conflit, auxquelles seule une armée de volontaires est en mesure de répondre. Il réactualise ainsi le plan Messmer d’une Armée de terre de 150 000 hommes dont 50 000 volontaires à 18 et 24 mois, payés initialement au Smic et bénéficiant d’une formation professionnelle et de facilités d’embauche. Cette proposition, qui n’impliquerait ni dégagement des cadres ni effort financier excessif, arrive à point nommé au moment où le gouvernement relance les études sur le maintien ou l’abandon de la conscription.
Les conclusions du livre sur les forces morales et sur la défense de la langue séduiront aussi bien les Français attachés à leur culture que les militaires persuadés de la prééminence de l’homme sur la technique. « Il n’est de meilleurs soldats que ceux qui combattent pour leur drapeau ». Cette formule finale résume bien le message que le général Valentin nous adresse au terme de sa réflexion. ♦