Le miroir des princes
Plus qu’un « essai sur la culture stratégique des élites qui nous gouvernent », c’est une étude particulièrement fouillée sur le pouvoir et ses stratégies de conquête que nous offre l’ouvrage de Luc Jacob-Duvernet. Journaliste allant bien au-delà de la simple enquête journalistique, fort d’un imposant bagage philosophique et historique, l’auteur a choisi de confronter des hommes de pouvoir avec le classique de la stratégie chinoise, L’art de la guerre de Sun Zi [ou Sun Tsu], vieux de près de vingt-cinq siècles : entreprise singulière mais stimulante, la sobriété du texte chinois et son universalité permettant de dégager une série de concepts et de mots-clefs particulièrement opérants. Ce livre est donc riche à deux titres, celui de la réflexion de l’auteur et de la confrontation avec le texte de L’art de la guerre et celui des témoignages des personnalités interrogées.
Le premier chapitre, consacré aux préceptes de la stratégie, reprend chaque principe de l’art de la guerre selon Sun Zi, la lucidité, la finesse, la prudence, l’économie de moyens, l’adaptation, l’organisation, la fulgurance et le contrôle, les fouillant, les approfondissant, les soumettant à l’épreuve des stratégies de pouvoir telles qu’en témoignent les très nombreuses personnalités interrogées.
Plus proches des études classiques consacrées aux élites, les deuxième et troisième chapitres sont consacrés aux ressorts du pouvoir, qualités naturelles, formation, acquis, mais aussi chance et vision, ainsi qu’aux limites de la stratégie qui se traduisent par un prix à payer pouvant aboutir à des dérives ou à des renoncements. En revanche, ces deux chapitres constituent un témoignage irremplaçable sur les hommes qui aujourd’hui gouvernent la France.
Le quatrième chapitre élargit le champ d’analyse, transposant les principes de l’art de la guerre du cadre des stratégies individuelles du pouvoir à l’échelle de la nation, ouvrant ainsi la voie à une réflexion sur l’état de la France et sa place d’État dans le monde profondément bouleversé que nous connaissons aujourd’hui.
Enfin une annexe nous offre, aux côtés d’un résumé de L’art de la guerre de Sun Zi, la biographie des personnalités qui, de Michèle Alliot-Marie à Philippe Villin, en passant par François Bayrou, Alain Carignon, l’amiral Jacques Lanxade, François Léotard ou Michel Poniatowsky, pour n’en citer qu’un modeste échantillon, se sont prêtées, pour le plus grand intérêt du lecteur, au jeu de réflexion auquel l’auteur les a soumis. Par ailleurs, deux représentants du monde des affaires, Bernard Pache, président d’honneur de Bull et Jacques Maisonrouge, ancien président d’IBM, ont complété leur réflexion par deux textes particulièrement stimulants pour ceux qu’intéresse la transposition des principes de l’art de la guerre au monde de l’entreprise, exercice dans lequel les Japonais sont depuis longtemps passés maîtres.
À l’heure où l’on ressent l’urgence d’une réflexion sur le pouvoir dans notre pays, l’ouvrage de Luc Jacob-Duvernet apporte une contribution essentielle à la compréhension des motivations et des stratégies de ceux qui gouvernent notre société. ♦