Un village de harkis ; des Babors au pays drouais
C’est un triste plaisir que nous offre Maurice Faivre, revenant sur la guerre d’Algérie, et pourtant ce retour n’est-il pas opportun au moment où le pouvoir algérien vit, face aux fous islamistes, une situation qui n’est pas sans rappeler celle que nous avons connue de 1954 à 1962 ? On a beaucoup écrit sur le drame franco-algérien, et un peu sur celui qu’ont vécu nos harkis ; mais on ne l’avait pas encore fait avec la compétence et le cœur que le général Faivre a mis dans son livre. C’est qu’il a commandé en Petite Kabylie, en 1960 et 1961, la harka de l’oued Berd et qu’il a retrouvé, à Dreux, les survivants des massacres de 1962 et leurs enfants. C’est pour ceux-ci que d’abord il écrit, pour les aider à comprendre l’engagement de leurs pères et à retrouver une mémoire perdue.
Aussi commence-t-il par l’histoire lointaine et la résistance constante des farouches Kabyles du massif des Babors. Il rappelle qu’il y avait, au Ve siècle, 650 évêchés en Berbérie, dont il ne restait que cinq en l’an 1 000 ; que notre propre conquête fut conforme à la rudesse des mœurs de l’époque et tissée d’ombres et de lumières ; que 100 ans de présence française et l’action des bureaux arabes, des communes mixtes et des instituteurs imprimèrent, dans la profondeur du pays, une marque que plus de 30 ans d’indépendance permettent de mieux apprécier.
En 1945, les troubles partis de Sétif – et qui renvoient, mutatis mutandis, à ceux de 1871 – annoncent la guerre d’indépendance : 40 000 émeutiers, 102 Français assassinés, 2 700 Algériens victimes du rétablissement de l’ordre et de la répression (chiffres justement rétablis par l’auteur, il y en a d’autres). On commémorait il y a peu le déclenchement de la guerre, le 1er novembre 1954. On évoquera bientôt le congrès de la Soummam qui, le 20 août 1956, fixa les objectifs du FLN et l’orientation laïque de sa politique, laquelle sera récusée par Ben Bella ; Ben Bella dont l’avion fut, le 22 octobre suivant, détourné par notre Armée de l’air, « coup » réussi que son héros malheureux a mis en parallèle, sans complexe, avec le piratage terroriste de l’Airbus d’Air France en décembre dernier.
Le général Faivre précise fort simplement le succès militaire de la campagne : fin 1961, il ne restait plus à l’intérieur du territoire qu’une seule katiba (compagnie) rebelle et quelques groupes épars. Il tord le cou à l’imposture du million et demi d’Algériens morts durant la guerre, imposture complaisamment reprise par les manuels scolaires locaux et les médias français : nos services évaluent à 158 000 le nombre de combattants du FLN qui ont péri, chiffre corroboré par les 152 863 morts recensés en 1974 par le ministère algérien des moudjahidin.
Cependant, les harkis sont le vrai sujet du livre. Les supplétifs que l’armée française a recrutés en Algérie sont de quatre sortes : moghaznis, GMS (groupes mobiles de sécurité), groupes d’autodéfense et harkis. On relèvera avec intérêt que la première directive prescrivant l’engagement de supplétifs fut signée par M. Mitterrand, ministre de l’Intérieur, le 12 janvier 1955, et qu’en 1958 le général de Gaulle ordonna qu’on s’en tienne à l’effectif de 25 000 harkis. Il fallut l’insistance du général Challe pour que le chef de l’État revienne sur sa décision première. Ainsi atteindra-t-on, en mai 1961, le chiffre maximal de 62 000.
La fin de la guerre, en 1962, déclenche la tragédie. Là encore, les chiffres prêtent à discussion. Maurice Faivre, et il faut l’en croire, estime entre 50 000 et 75 000 le nombre des Français musulmans qui ont alors été massacrés. Ne parlons pas des responsabilités algériennes, qui sont évidentes, mais des responsabilités françaises, qui le sont moins. Les Accords d’Évian fondent l’ambiguïté. L’assurance d’impunité, de non-représailles y figure bien ; mais les dissensions entre les dirigeants algériens et la victoire finale de Ben Bella, encore lui, sur le GPRA, entraîneront le non-respect des accords. Les harkis, cependant, ne se sentaient pas menacés (à 90 % précise l’auteur), confiants dans la fraternité nouvelle qu’on leur annonçait, et refusèrent donc les facilités qu’on leur avait offertes. On sait ce qu’il advint, et qui fut horrible. Devant l’horreur, il est possible que les autorités françaises n’aient pas toutes eu un comportement héroïque.
Les rescapés de la harka de l’oued Berd sont aujourd’hui à Dreux. Maurice Faivre ne les a pas abandonnés. Il s’adresse à leurs enfants. « Vos parents, leur dit-il, ont connu des malheurs dont ils n’aiment pas parler », mais « vous pouvez être fiers du chemin qu’ils ont suivi et des épreuves qu’ils ont supportées ». L’exemple vaut en effet d’être souligné, de la communauté algérienne méritante et digne qu’ont su construire en France les harkis de l’oued Berd. ♦