Introduction à la géopolitique
La géopolitique a pour objectif d’analyser les rapports entre l’espace et la politique. Cette démarche intellectuelle reste donc indissociable d’un environnement précis qui nécessite une prise de conscience géographique. C’est pourquoi l’ouvrage débute par une étude des facteurs humains, sociologiques et historiques qui ont contribué à la formation de ce type de culture. L’auteur poursuit par la présentation des deux grandes approches doctrinales qui ont façonné cette science des relations internationales : le courant anglo-saxon (Clausewitz, Mahan, Mackinder, Spykman) marqué par les relations entre la mer et la terre, et le courant allemand (Ratzel, Haushoffer) plus centré sur les espaces continentaux. En fait, les deux écoles ne sont pas antagonistes. Elles fondent leurs arguments sur une interrogation : qui, de la puissance maritime ou de la puissance continentale, détient la clé pour maîtriser les grandes crises mondiales ?
L’originalité du livre tient également dans l’examen d’une matière nouvelle, la géo-économie, qui prend en compte l’influence croissante des données économiques sur les événements politiques. Si la géopolitique tend à appartenir aux grands acteurs politiques et aux États, la géo-économie implique, pour sa part, les institutions, les banques, les industries, les producteurs et les consommateurs. Cette intrusion profonde dans le domaine social en fait ainsi un « élément de renforcement des problèmes géopolitiques ».
Le document de Philippe Moreau Defarges s’achève par une réflexion intéressante sur la place de la France dans la géopolitique. Pour l’auteur, Charles de Gaulle demeure incontestablement le plus grand géopoliticien de notre pays. Ainsi, la guerre qui a été déclenchée en 1939 a été perçue dès son début par l’homme du 18 juin comme un conflit mondial. Pourtant, en juin 1940, l’Angleterre se battait seule contre l’Allemagne, qui était maîtresse du continent et, en outre, bénéficiait d’une alliance avec l’Union Soviétique. Quant aux États-Unis, ils n’entreront militairement dans les combats qu’après l’attaque de Pearl Harbor par l’aviation japonaise en décembre 1941. De Gaulle avait anticipé grâce à une vision planétaire. Tout au long des années 60, le général, revenu aux affaires en 1958, apparaît ensuite comme l’homme de la géopolitique, dans une décennie où les idéologies, par l’antagonisme Est-Ouest et les tensions entre l’Occident et le Tiers-Monde, inspirent les raisonnements internationaux. Par exemple, pour de Gaulle, la rupture sino-soviétique en 1960 est dans l’ordre des choses, le géant russe ne pouvant que redouter, sur son flanc oriental, une Chine « innombrable et puissante ». De même, l’engagement des Américains au Vietnam est condamné à l’échec : les États-Unis, en menant une croisade contre le communisme, ne se rendent pas compte qu’ils mobilisent contre eux une force irréductible, le nationalisme vietnamien exalté par le marxisme le plus rigide.
De Gaulle n’est pas un théoricien. Son analyse géopolitique part du souci de donner à la France une place de choix sur notre planète. La réponse à ce défi s’est basée sur quatre idées : retrouver l’indépendance dans le domaine clé où elle a été perdue, en se dotant de la dissuasion nucléaire ; bien gérer l’héritage, en particulier les liens avec les anciennes possessions françaises ; avoir un multiplicateur de puissance, grâce à un pôle européen forgé sous l’impulsion de la France ; rester malgré tout, selon la formule de Jean Giraudoux, « l’embêteuse du monde ».
De nos jours, le seul courant géopolitique digne de ce nom est clairement exprimé par la publication du géographe Yves Lacoste Hérodote. Grâce à cette revue de très haute qualité, la géopolitique a acquis une « légitimité intellectuelle » en France. Le titre même du magazine est d’ailleurs un hommage à l’un des pères de l’histoire et de la géographie. Admirateur de cette école de pensée, Philippe Moreau Defarges nous livre ici un ouvrage pédagogique utile à tous les universitaires et experts qui traitent des affaires internationales. En outre, sa présentation claire et rationnelle le rend accessible à une large gamme de lecteurs. ♦