La puissance des États-Unis puise ses racines dans l'histoire d'un pays-continent, à la fois terre de conquête intérieure et terre de départ vers les espaces maritimes, avec la constitution d'une société naturellement ouverte vers l'extérieur et qui reste marquée par l'esprit d'innovation, l'esprit pionnier!
Puissance et sens : le cas des États-Unis
Power and meaning: the case of the United States
The power of the United States draws its roots in the history of a continent-country, at the same time a land of interior conquest and the starting point towards maritime space, and with the constitution of a society naturally open to the exterior that remains marked with the spirit of innovation, the spirit of pioneering!
Les composants de la puissance d’un pays sont l’expression de ses structures profondes. Certaines d’entre elles, note le célèbre historien français Fernand Braudel, sont des éléments stables qui perdurent de génération en génération. Elles « encombrent l’histoire, gênent, et donc en commandent l’écoulement ». Ces structures « se marquent comme des limites […] dont l’homme et ses expériences ne peuvent guère s’affranchir » (1). Par conséquent, appréhender les contours de continuité de la puissance américaine pourrait nous aider à mieux saisir ses limites et ses attentes. Par ailleurs, une esquisse de la « grammaire » (pour reprendre une expression de Braudel) de la civilisation américaine permet aussi d’en éclairer les caractéristiques au regard du reste du monde (2). La démarche consiste à adopter une perspective historique de longue durée qui permettra de prendre en compte certaines forces récalcitrantes, constituant un arrière-plan omniprésent de nature essentiellement géostratégique et civilisationnelle. En effet, les courants de l’Histoire se déploient avec une intensité et un rythme différents ; par vagues de dizaines, vingtaines ou cinquantaines d’années – mais la longue, voire la très longue durée sont des ondes qui se meuvent à l’échelle des siècles. Il est nécessaire de puiser dans toutes ces durées afin de dégager une perspective claire sur la puissance des États-Unis.
Géographie et destinée
S’il existe un élément immuable dans la destinée d’une civilisation, c’est bien son cadre géographique. Un peuple est largement prisonnier, des siècles durant, de sa situation géographique : de paysages, de climats, de végétations, de vie maritime, des articulations littorales. Cette « géographie stratégique » influe sur la sécurité et la prospérité des nations, donc leur puissance in fine. Bien évidemment, l’importance de la situation géographique évolue avec les sociétés et leur développement. Même si la géographie est un facteur qui se situe dans la plus longue des durées, sa pertinence se transforme en fonction des multiples changements politiques, économiques, culturels et technologiques.
Jusqu’à une période assez récente, le ressort des grandes puissances dépendait largement du contrôle d’un large territoire. Cela est bien sûr encore vrai de nos jours, mais dans une moindre mesure. Le contrôle d’un territoire fournissait à la fois des matières premières d’une grande diversité, y compris agricoles, une importante population et une position géostratégique plus ou moins à l’abri des déferlements de forces extérieures. Ce qui est, bien sûr, le cas des États-Unis. Mais indépendamment d’un large territoire, les États-Unis, comme d’autres grandes puissances de l’histoire, bénéficient aussi d’une façade maritime, qui a souvent favorisé le caractère commerçant de leurs peuples. Les États les plus forts ont été historiquement à la fois des puissances territoriales et maritimes. La puissance commerciale d’une nation établit son caractère marchand, en même temps qu’elle augmente sa richesse. Comme disait Lucien Febvre dans ses conférences au Collège de France en 1944-1946 à propos de la place de la Méditerranée dans l’histoire de l’identité de l’Europe : « La mer, c’est la mobile, la perpétuellement mouvante, la novatrice, celle qui est toujours prête à prendre le vent, à bousculer la lenteur des hommes, à sauter directement, sans intermédiaire, sans lien de frontière ou de douane, d’un point à un autre, parfois très éloigné. La terre dort, immobile. La mer a la puissance du vent et la stabilité du sol. Elle agit. Elle ne dit pas : laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre, elle brasse les hommes et les choses, elle déplace, elle mêle. La mer, c’est la route efficace et de gros débit… » (3). On peut constater que ce sont les qualités de l’Amérique.
Il reste 82 % de l'article à lire
Plan de l'article