Définir la puissance aérienne reste complexe et ne se limite pas à un catalogue de capacités comme des avions ou des bases aériennes. De même, mesurer l'efficacité de l'action aérienne reste une tâche difficile, en particulier lors de la conduite des opérations. Au-delà des chiffres, la réalité de la puissance aérienne reste du domaine de la perception, avec ses ambiguïtés.
Peut-on mesurer la puissance aérienne ?
Can we measure aerial power?
Defining aerial power remains complex and is not limited to a catalog of capacities like planes or air bases. Likewise, measuring the efficiency of aerial action remains a difficult task, in particular during the middle of an operation. Beyond the numbers, the reality of aerial power remains a domain of perception, with its ambiguities.
La formule de Churchill est bien connue : « La puissance aérienne est la plus difficile à mesurer de toutes les formes de la puissance militaire, ou même à exprimer en termes précis ». Avec beaucoup d’humour, les aviateurs de la Royal Air Force la placent en exergue de leur principal document conceptuel sur la puissance aérienne et spatiale (AP 3000). Plus récemment, Hervé Coutau-Bégarie a écrit que « la puissance aérienne (Airpower) est restée un concept mort-né » (1).
La notion de puissance aérienne d’une nation ou d’une entité politique est en effet bien difficile à définir. Le premier à employer l’expression est le très imaginatif Herbert George Wells dans son ouvrage de science-fiction La Guerre dans les airs publié en 1907 lorsqu’il décrit la puissance aérienne de l’Allemagne qui se prépare à déclencher une guerre en attaquant les États-Unis afin d’établir un empire mondial. La première définition est sans doute celle du prophète de l’aviation aux États-Unis, le général William Mitchell, qui définit la puissance aérienne comme « la capacité à agir dans les airs ». Il ajoute : « Cela consiste à transporter toute sorte de choses par avion d’une place à une autre et comme l’air couvre la terre entière, il n’y a aucun lieu qui peut s’affranchir de l’influence que peut produire un avion » (2). Dans cette première définition, Billy Mitchell caractérise la puissance aérienne par sa capacité à agir ou à influer sur la surface de la terre, c’est-à-dire par sa capacité à produire des effets dans les autres milieux. René Fonck dans son ouvrage sur L’Aviation et la sécurité française adopte une définition comparable lorsqu’il écrit que « la puissance exige l’action de milieu à milieu » (3).
Dans ce cadre, la puissance aérienne peut s’évaluer en nombre d’avions, en capacité de transport ou de ravitaillement en vol, en aptitude à s’affranchir des menaces sol-air ou en faculté à parcourir de longues distances. C’est dans ces termes que le Jane’s World Air Forces évalue le caractère croissant de la puissance aérienne chinoise en soulignant l’acquisition par les forces aériennes de l’armée populaire de libération d’avions A-50 de guet aérien et d’avions ravitailleurs Il-78 qui pourraient lui permettre de conduire des raids à longue distance avec ses chasseurs Sukhoï Su-30 Flanker. Cette capacité à projeter la puissance est l’attribut essentiel de la puissance aérienne pour Alexandre de Seversky. Pour lui, contrairement à la puissance navale, la puissance aérienne ne doit pas s’exercer à partir de bases situées outre-mer, mais à partir des bases de la métropole et à proximité de l’infrastructure et de l’industrie qui permet de la générer : « À cause de son rayon d’action global, la puissance aérienne peut être employée directement à partir des bases continentales de son origine industrielle sans bases intermédiaires et les complications internationales liées à leur établissement et à leur entretien sur un sol étranger. Dans cette perspective, la puissance aérienne représente diplomatiquement un instrument de politique nationale qui est supérieur à son prédécesseur du siècle dernier, la puissance navale, dont le développement à la surface du globe fut souvent dénoncé comme impérialiste et agressif. Avec le développement d’avions au rayon d’action mondial et l’avènement des armes nucléaires, la supériorité aérienne locale au-dessus d’un endroit quelconque de la surface terrestre ne peut être maintenue, excepté au-dessus des bases continentales de la puissance aérienne abritant les sources de ses origines industrielles. Donc, les bases intermédiaires ne sont pas seulement devenues inutiles, mais aujourd’hui insoutenables » (4).
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