Le réchauffement climatique rend la route vers l'Arctique plus accessible avec un potentiel de ressources attirant les convoitises. Les enjeux deviennent essentiels entre besoins économiques, préservation de l'environnement et ambitions stratégiques. Les approches des pays limitrophes sont divergentes et pourraient entraîner des confrontations.
La course vers le Grand Nord : l’Arctique est-elle notre dernière frontière ?
The race to the North: is the Arctic our last frontier?
Global warming makes the route to the Arctic more accessible, with potential resources attracting the greedy. The challenges become essential between economic needs, economic preservation, and strategic ambitions. The approaches of neighboring countries diverge and could lead to confrontations.
Le plus petit des océans, l’océan Arctique (14 millions de km2, 3 % du total des surfaces maritimes mondiales, 1 % de leur volume), suscite, depuis plusieurs années le plus grand intérêt chez bon nombre de gouvernements, y compris ceux qui n’appartiennent pas au bassin arctique, comme la Chine qui cherche à faire de la voie maritime du Nord-Est (par les eaux territoriales russes) l’une des voies d’acheminement de son commerce. Il y a déjà des années que les compagnies pétrolières ont démontré leur intérêt pour l’Arctique où, selon l’US Geological Survey, dans une étude datant de 2009, abondamment citée, se trouverait le quart des ressources « conventionnelles » d’hydrocarbures restant encore à découvrir, soit 83 milliards de barils de pétrole (deux années et demie de consommation mondiale annuelle) et 44 trillions de m3 de gaz, soit à peu près trois siècles des exportations annuelles de Gazprom vers l’Europe ! Si l’on précise que 80 % de ces réserves de gaz se trouvent en zone russe, pays qui détient déjà 23 à 24 % des réserves « conventionnelles » de gaz du monde, on mesure aisément les enjeux. Bien d’autres secteurs, comme la pêche, le tourisme, l’environnement ou le droit des peuples premiers, déploient leurs activités vers ces zones, jadis réputées vides, glaciales et éloignées. C’est dire que les chercheurs de nombreuses disciplines (climatologie, géomorphologie, géographie, environnement, sociologie, économie, politique, stratégie et droit international) ont approfondi nos connaissances sur l’Arctique, du mot arktos (ours), car les navigateurs jadis y pénétraient en se guidant sur la constellation de la Grande Ourse.
La zone arctique comporte de nombreuses définitions, selon que l’on choisit une optique astronomique ou cartographique (ce qui se situe au nord du cercle polaire, à 66 degrés et 34 minutes de latitude), climatique (l’isotherme 10 °C en juillet, c’est-à-dire la température moyenne du mois le plus chaud de l’année), pédologique ou biogéographique (la limite du pergélisol, sol gelé en permanence, permafrost). On doit au géographe canadien, Georges Labrecque (1) dans son ouvrage, fort complet qui dépasse de loin les limites de son sujet, qui porte sur les frontières maritimes de et en Arctique, l’invention du néologisme de nordicité, qui met l’accent sur les valeurs des peuples qui l’habitaient depuis des millénaires. Et celui-ci de poursuivre : « On a dit aussi que l’Arctique avait été longtemps enseigné comme étant l’éloge du vide, qu’il constituait jadis un désert géopolitique, mais désormais elle est une zone vitale, stratégiquement et économiquement ». Dans cette optique, dans le théâtre arctique, comme dans tout autre espace maritime, se déroule un grand jeu de stratégie géoéconomique dans lequel les frontières maritimes revêtent une importance considérable. Les joueurs sont certes en nombre limité, puisque seuls cinq États sont riverains de l’océan Arctique (Norvège, Russie, Danemark, États-Unis, Canada), auxquels on peut ajouter l’Islande, dont les eaux maritimes jouxtent le cercle polaire, la Finlande et la Suède, tous membres du Conseil arctique constitué en 1996. Il n’existe pas de Traité, portant sur l’Arctique, analogue à celui sur l’Antarctique (1959), pour la raison bien simple que dans le cas de ce dernier, il s’agit d’un continent que la communauté internationale a entendu soustraire à la convoitise de quelques États, les plus proches du pôle Sud. Alors que dans le cas de l’Arctique, il ne s’agit que d’espaces maritimes couverts de glace dont la superficie s’amenuise d’année en année, puisqu’en l’espace de moins de deux décennies la couverture estivale minimum de la glace est passée de 11 millions de km2 à moins de 4 millions de km2. Il n’existe pas également de régime juridique particulier à l’Arctique en matière de délimitation maritime comme en toute autre matière, en dehors de règles spécifiques de navigation sur les voies du Nord-Ouest ou du Nord-Est.
Georges Labrecque traite avec ampleur et érudition de la question de la délimitation des frontières maritimes, mais ses développements vont bien au-delà de ce strict sujet. D’une part parce que la moitié de son ouvrage porte sur les principes de délimitation maritime ; ce qui l’amène à parler de toutes les régions du globe et de tous les « objets » maritimes (îles, côtes, détroits, baies, récifs, eaux deltaïques, configuration des côtes…), autant de concepts, d’essence juridique, mais dont les enjeux s’ils ne sont pas purement stratégiques sont de nature économique. On apprend bon nombre de choses, comme la distinction entre « limites maritimes » et « frontières maritimes » : les premières étant établies unilatéralement par l’État côtier, les secondes résultant d’un chevauchement éventuel sont convenues selon un processus qui, loin d’être unilatéral, doit être soit bilatéral, soit juridictionnel. Exploitation des ressources, hydrocarbures, halieutiques et peut-être un jour, nodules polymétalliques, tourisme polaire, environnement et climat, l’Arctique faisant office de grand régulateur climatique mondial en refroidissant les eaux chaudes remontant du Pacifique, enjeux de sécurité, bien au-delà des armes nucléaires ou sous-marins navigants sous le pôle ; tels sont quelques-uns des enjeux qui rendent la délimitation des frontières maritimes nécessaire et vitale. Or, contrairement à ce que l’on pouvait penser a priori, le processus de délimitation des frontières est plus avancé en Arctique que dans l’ensemble du monde où les frontières maritimes sont formellement établies dans une proportion de moins de 50 % pour l’ensemble des océans et des mers, tandis qu’en Arctique, les frontières sont délimitées pour la plupart partiellement ou entièrement. Il reste des portions à arrêter : Danemark/Canada, Canada/Russie, États-Unis/Canada, Russie/Canada ; l’accord bilatéral de 1990, portant sur le détroit de Behring n’ayant jamais été ratifié par le Parlement russe. Certains auteurs ou experts ont été jusqu’à qualifier que l’Arctique constituait « un des problèmes territoriaux majeurs de notre époque » ; affirmation un peu surfaite. Mais compte tenu de ses multiples enjeux, l’Arctique fait figure, avec quelques rares autres (Amazone…), d’une de nos dernières frontières.
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