Billet - Cyber m'était compté
Il y a tout juste un an, revenant de Versailles sur Paris par le train, je me trouvai face à un gentleman qui se piqua d’organiser au téléphone une visite du centre de recherche de Valduc, pour laquelle on pourrait attendre un minimum de précautions. Le quidam donna ses nom et prénom, son numéro de portable et son mail au CEA, et répéta ceux de son contact bourguignon. Tout le wagon en profita, même si j’étais sûrement le seul à savoir ce que l’on entrepose à Valduc. Et tandis que nos services se font voter des lois auxquelles Fouché n’aurait jamais osé rêver, et enregistrent mails, SMS et conversations téléphoniques, ils passent à côté de ce qui se dit dans les rames de la ligne C. On nous annonce même une quatrième arme cyber généreusement budgétisée, alors qu’il en coûterait moins de délivrer à nos OSS 117 des cartes d’abonnement jusqu’à Versailles-Chantiers.
Il est tout aussi vain dans les entreprises de reconstruire une Ligne Maginot tout en protestant que des photos mises en ligne et des textes envoyés vers les clouds soient interceptés. Lorsque je mets sous enveloppe un manuscrit, il ne me viendrait pas à l’idée de le faire au dos d’une carte postale ; et pourtant qu’est d’autre une boîte mail ? Les neuf-dixièmes de ce qui traîne sur le Net n’a rien à y faire, et certains éditeurs redécouvrent les vertus de circuits qui les soustraient à la vigilance de la DGSI comme les Philosophes savaient se soustraire à celle de la Librairie. À l’inverse, lorsque je donne une carte de visite qui sera lue par d’autres personnes que mon interlocuteur, personne n’y trouve à redire ; mais que j’en fasse autant sur Internet, et cela devient des informations sensibles à sécuriser à n’importe quel coût. Les alchimistes du cyber qualifient ainsi d’acte de guerre ou terroriste quelque chose qui ne le devient que par la seule magie de ce préfixe.
Car comment ne pas rester dubitatif aux précédents toujours cités de cybertruc, comme la neutralisation en septembre 2013 des feux de signalisation d’un tunnel autoroutier de Haïfa ? On imagine la scène à la Jacques Tati, des milliers d’automobilistes à l’arrêt attendant le nez en l’air que le vert soit mis. On peut aussi dans la même veine rêver d’un internaute facétieux bloquant les portillons des transports en commun, et les titres de la presse du lendemain : 5 millions d’usagers sont rentrés chez eux à pied tandis que les rames ont circulé à vide.
Les alchimistes hausseront les épaules et trouveront le trait d’humour facile. Ils devraient se relire, eux qui s’écoutent parler, car dans leur logorrhée se devine la condition nécessaire, à défaut d’être suffisante, pour que leurs visions se réalisent ; que la population cible soit composée de décérébrés. Les Français, eux, ont appris de l’expérience des siècles l’impérieuse nécessité de griller les feux rouges, sauter par-dessus les tourniquets et traverser en dehors des clouds.