Hitler et la France
Hitler et la France
Il n’est plus nécessaire de présenter l’éminent historien qu’est Jean-Paul Cointet. Ses nombreuses publications sur la Seconde Guerre mondiale et le Régime de Vichy font autorité. Il n’empêche que son dernier livre est non seulement passionnant mais indispensable à l’heure où de brillants polémistes réécrivent l’histoire pour l’adapter à leurs thèses. Le vrai historien – l’expert de la science historique – adopte la démarche inverse en partant des faits et des sources vérifiées. Jean-Paul Cointet avec son Hitler et la France fait ainsi œuvre utile et salutaire.
Certes, la littérature sérieuse sur Vichy et l’Allemagne est surabondante, voire exhaustive. Par contre, les travaux sur la place de la France dans le système nazi sont rares. Cet ouvrage vient ainsi combler cette lacune historiographique en répondant à la question : quel projet pour la France par Hitler ? Et la réponse est accablante pour les thuriféraires du Régime de Vichy. Hitler a toujours détesté la France et n’a eu que mépris pour notre pays, que ce soit avant 1940, et bien entendu après. La France était un ennemi haïssable qu’il fallait briser et qui n’avait pas de vraie place dans le projet de l’Europe voulu par Hitler, et la défaite de 1940 a été en quelque sorte une divine surprise pour le Führer.
Le mérite du travail effectué n’est pas d’être limité à la seule période de Vichy, mais bien de couvrir toute la période de vie publique de Hitler, de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à la chute du Reich. Ainsi, jamais le Führer n’a eu le moindre intérêt ou la moindre inclination pour la France, sa culture et sa politique. Bien au contraire, il considérait que les peuples allemands avaient été toujours sous la contrainte du Royaume de France, empêchant ainsi une unification plus précoce. Cette approche historique – au demeurant fausse – a été renforcée par le Traité de Versailles vécu comme une humiliation qu’il fallait relever sans ménagement. Et de ce fait, toute la politique conduite par Hitler est allée dans ce sens, sans pour autant constituer une priorité. Paradoxalement le pays haï n’a jamais été au cœur des préoccupations de Hitler. Et la débâcle inattendue du printemps 1940 s’inscrit bien dans cette ligne. La France vaincue n’a plus de place à revendiquer. Elle est juste bonne à payer et à servir l’effort de guerre du Reich. Rien de plus ! Ainsi, l’Armistice signé à Rethondes n’est pour les Allemands en aucun cas le prélude à une négociation pour un traité de paix, remis d’ailleurs aux calendes grecques. Tant que l’Allemagne sera en guerre, il n’y aura pas de volonté de clore le conflit avec la France, d’autant plus que Hitler la considère comme doublement fautive avec le diktat de Versailles et le fait que ce soit la France qui ait déclaré la guerre en septembre 1939.
Ce mépris et cette haine – pourtant clairement exprimé dans Mein Kampf, publié en 1925 et traduit en français en 1934 – n’ont pas été perçus en France tout au long des années 1930. Bien au contraire, une partie des élites françaises a cru à une francophilie de la part de certains dirigeants allemands. Jean-Paul Cointet insiste à ce sujet sur l’antipathie viscérale de la quasi-totalité des chefs nazis à l’égard de la France, contrairement à une élite allemande plus traditionnelle mais marginalisée dans le système nazi. Or cette illusion a perduré tout au long de la guerre, en particulier chez Pierre Laval, persuadé qu’il pourrait donner au pays un rôle véritable auprès de l’Allemagne, la nouvelle puissance dominante des continents.
Tous les faits après l’Armistice confirment le projet d’asservissement et de démembrement de la France vaincue. À aucun moment, les tentatives de conciliation demandées par Vichy n’ont réellement été prises en considération par Berlin peu soucieux de redonner un peu de souveraineté au régime du Maréchal Pétain. C’est donc en vain que la politique de collaboration a été engagée et approfondie par Vichy, en n’obtenant aucun résultat concret. Bien au contraire, la descente aux enfers a été constante et accélérée à partir de novembre 1942 et le débarquement américain en Afrique du Nord.
L’occupation de la zone libre – avec le sabordage de la flotte à Toulon – sonne le glas du peu de souveraineté qu’il restait au gouvernement de Vichy et les mois qui suivirent n’en furent que plus pathétiques. Très clairement, à la fin de 1943, Vichy comme autorité politique n’existe plus. Pour les Allemands la seule préoccupation est d’ordre opérationnelle : presser le « citron » français pour qu’il contribue à l’effort de guerre, tout en accélérant la répression contre la Résistance – considérée par Hitler uniquement comme des organisations terroristes à éliminer impitoyablement – et en poursuivant l’élimination des Juifs, l’obsession centrale des Nazis.
La fuite à Sigmaringen des ultras de Vichy, avec un Maréchal muré dans son silence réprobateur, n’en est que plus pathétique et ressemble à un crépuscule des Dieux qu’ils n’ont jamais été. Et le sort des ultras est la dernière des préoccupations des dignitaires nazis eux-mêmes dans une chute fatale.
Au final, les conclusions du travail de Jean-Paul Cointet sont accablantes et montrent bien que la France n’avait déjà pas de place dans l’Europe nazie telle que Hitler la concevait. Avec la défaite de juin 1940 c’est un « Vae Victis » lancé par Hitler pour la France battue, contrairement à ce que pouvaient croire les tenants de la Collaboration.