A word from the president
2015 - Le mot du Président
Chères lectrices et chers lecteurs de la Revue Défense Nationale, nous vous souhaitons une bonne année 2015.
Toute la petite équipe, qui travaille, en relais des auteurs, pour vous proposer un mensuel et une RDN en ligne (www.defnat.com) dignes de la réputation que vous leur faites, vous remercie de votre soutien sans faille et de votre fidélité au débat d’idées stratégiques qui est le marqueur de la RDN depuis plus de soixante-quinze ans. Et ce sont vos encouragements qui nous guideront cette année encore pour vous proposer une thématique mêlant simultanément l’histoire et ses leçons, l’actualité et son acuité, la prospective et sa vision.
Régulièrement, l’année qui commence est placée sous un signe symbolique particulier à l’aune des organisations qui en décident. Ainsi, l’UNESCO a déclaré 2015 « Année internationale de la Lumière » au fil des anniversaires des découvertes de Fresnel, Maxwell ou encore Einstein.
J’ai retenu cette image pour ouvrir le premier éditorial de l’année car, en réalité, les trois sujets que je vais aborder maintenant et qui constitueront le fil directeur de votre Revue en 2015 sont plutôt sombres.
Victor Hugo pardonnera ce détournement de la métaphore célèbre de la Légende des Siècles : la lumière qui guide nous fait cruellement défaut – c’est l’absence de stratégie lisible – alors que la flamme brûle ceux qui s’en approchent et aveugle ceux qui la commentent – c’est la dictature de l’actualité par essence éphémère.
Trois éclairages donc sur le futur : le premier sur le monde métastable qui se transforme sous nos yeux, le deuxième sur la transformation du ministère de la Défense, véritable enjeu stratégique et le troisième sur la capacité des armées françaises à conserver, dans la disette budgétaire, la cohérence opérationnelle qui fait leur force actuelle.
Il est impossible en quelques lignes de résumer l’état des dangers du monde, risques et menaces sur notre sécurité. Quelques sujets me paraissent cependant émerger du bruit ambiant.
Le premier est celui de la stabilisation en Europe au regard des manœuvres hasardeuses qui s’y déroulent à l’Est. On ne peut attendre sans bouger que la Russie éternelle éponge cet épisode comme elle a épongé le communisme, pour reprendre la formule du général de Gaulle. Ce serait oublier que l’Europe aidée de ses alliés était armée, alors qu’aujourd’hui les pacifistes dénoncés par le président Mitterrand en 1987 au Bundestag ont gagné : elle est désarmée aux exceptions peut-être provisoires de la France et du Royaume-Uni.
Mais bouger ne veut pas dire faire n’importe quoi, ni le faire seuls. Plus que jamais le triangle Londres-Berlin-Paris est essentiel à notre avenir commun. Déjà en 2002, Hans Stark dans la revue Politique Étrangère préconisait un directoire européen à trois et rien n’a changé depuis. La RDN attend donc de ses auteurs des idées applicables pour combiner, en les renforçant, les liens entre les trois capitales : le lien militaire et stratégique entre les deux puissances nucléaires et maritimes européennes et le lien structurel et fondamental entre les deux puissances continentales. Encourager, sans en avoir peur, la relation entre l’Allemagne et le Royaume-Uni peut y contribuer, mais ce n’est qu’une piste parmi d’autres. Il faut relire Liddell Hart sur ce sujet.
Le deuxième est celui de la question islamique qui s’installe durablement dans le paysage stratégique. Certes, le terrorisme qui se revendique de cette religion n’a jamais détruit un État au sens où nous l’entendons, mais les désordres qu’il apporte dans le monde entier, faits nouveaux de notre cybermonde, doivent être mieux maîtrisés et contrôlés par les démocraties.
À cet égard, la volonté annoncée de restaurer un califat – le dernier a été aboli en 1924, même si Henry Laurens du Collège de France parle d’une « invention de la tradition » – est une bonne et une mauvaise nouvelle à la fois. Territorialiser une revendication politique et religieuse oblige à la préciser dans son espace géographique, à la bâtir dans la violence et à la protéger dans la durée. Ce n’est pas le moindre des challenges.
Cette idée de conquête ou de reconquête géographique s’instille par ailleurs durablement dans les relations internationales avec des déclinaisons dangereuses que l’on peut prévoir en Afrique également.
Dans le même esprit, s’approprier l’espace en étant capable de détruire les objets qui s’y trouvent – la Chine l’a démontré –, s’approprier le territoire maritime pour profiter des richesses de la mer, de son sol et de son sous-sol, voilà deux exemples d’enjeux à court terme que nos stratèges vont analyser pour en proposer leurs conclusions aux décideurs militaires et politiques.
La question du climat, autre sujet, a longtemps été l’objet de débats purement scientifiques, aujourd’hui en grande partie apaisés, ce qui a permis aux responsables de s’exonérer de l’action dans une sorte de grand consensus mou qui faisait fusion des problématiques du climat et de l’empreinte énergétique.
Aujourd’hui elle est prégnante. La conférence de Paris en novembre 2015 est importante. Mais à ce jour, le ministère de la Défense est un des très rares à avoir fait travailler des instituts stratégiques pour nourrir sa réflexion interne.
Directement liée au climat et au réchauffement des eaux, et alors que le continent Antarctique est « congelé » pour reprendre l’expression d’Eisenhower – et réservé uniquement à la science depuis 1959 –, la question de l’océan Arctique attise de plus en plus les tensions. La Russie vient d’y créer un commandement maritime important et d’y déployer états-majors et forces permanentes. Or, il s’y trouve autant de gaz et de pétrole qu’au Moyen-Orient.
Le nucléaire, enfin, dans ce trop rapide tour d’horizon. Énergie propre mais qui n’est pas sans danger, comme l’avion, le moteur à explosion ou toute invention humaine moderne, elle est de moins en moins contestée comme telle : la sujétion excessivement onéreuse de nos voisins au gaz qui lui vient de l’Est a fait réfléchir. L’arme est en revanche encore discutée, le plus souvent par des naïfs des relations internationales qui sont abusés par les déclarations de ceux qui les prononcent, mais n’ont pas la moindre intention de les mettre en œuvre. La séquence internationale qui est en cours en Europe consolide la dissuasion à commencer chez nos voisins.
La transformation du ministère, matériellement achevée avec le transfert en 2015 à Balard de l’ensemble des organismes de direction, va constituer le deuxième éclairage sur lequel la RDN va consacrer, au printemps, une thématique centrale.
C’est dans l’organisation retenue – obligatoirement nouvelle compte tenu du regroupement physique – que le ministre va exprimer la stratégie organique qu’il compte mettre en œuvre. Un exemple me revient à l’esprit sur ce sujet. Lorsque je commandais les forces aéronavales franco-britanniques au cours de la campagne aérienne de 1999 dans l’ex-Yougoslavie, j’avais été frappé par la différence des éléments de langage diffusés aux commandeurs sous mes ordres selon qu’ils émanaient de Londres ou de Paris. Pour les premiers, il s’agissait avant tout de rappeler que les forces armées britanniques avaient été le bras armé de la puissance et de la gloire de l’Empire, et de préciser, plus inattendu dans le contexte politique de l’intervention, que c’était possible grâce à la capacité du ministère d’être en permanence à la pointe des réformes, de la réorganisation et de l’efficacité : c’est bien l’expression d’une véritable stratégie. Pour les seconds, le rappel de la légitimité internationale de l’intervention était mis en tête.
Le ministère de la Défense a été le seul à se réorganiser profondément au moment de la mise en place de la Lolf (Loi organique portant sur la loi de finances, votée en 2001 et mise en application à partir de 2005) par le primat donné aux opérations militaires qui sont sa raison d’être. Le moment est venu de conclure en tirant les leçons d’une succession d’opérations militaires réussies depuis, et en se souvenant des difficultés organiques et opérationnelles de la première guerre du Golfe en 1991, qu’il ne faut pas risquer de reproduire.
Parmi les pistes d’efficacité que je préconise, la fusion de l’état-major des armées avec les directions du secrétariat général pour l’administration, sous la double tutelle du major général des armées et du secrétaire général pour l’administration (dans l’esprit de la cogestion du programme 146 et de la pratique britannique) mérite l’analyse. Elle s’accompagne à mon sens de mesures qu’il faut avoir le courage d’étudier, comme la suppression de la fonction de major général d’armée, rendue caduque par la proximité quotidienne des états-majors, et une réflexion sur la place réelle de la prospective et des relations internationales. Il serait dommage que des rigidités internes, s’il en existe encore, ne permettent pas d’atteindre l’optimal de ce transfert.
Enfin, car c’est la raison d’être d’un appareil de défense, la préservation des capacités opérationnelles des armées françaises retient naturellement l’attention inquiète pour 2015. Le budget est la première cause de cette inquiétude, largement ressentie hors les murs, sur le terrain.
La Revue, ce n’est ni son objet ni son esprit, ne commentera pas les décisions prises par ceux qui en ont la responsabilité. Elle se contentera de proposer différents prismes de lecture, de donner la capacité de s’exprimer aux jeunes officiers qui auront la charge de demain, et d’essayer de rendre audibles et surtout compréhensibles les enjeux en balance.
Deux maîtres-mots de cette pédagogie s’imposent, celui de la « cohérence » et celui de la « valeur ajoutée » de notre outil militaire au profit de notre pays.
Ils permettent de faire un lien entre le potentiel humain extraordinaire de nos armées et nos capacités industrielles et technologiques uniques en Europe.
Ils permettent de faire comprendre que dans l’industrie comme dans les forces, on perd très rapidement une compétence qu’il a fallu parfois près d’un demi-siècle à bâtir et au moins autant à essayer de reconstruire quand souvent c’est déjà trop tard.
Ils permettent de montrer que le ministère, doté d’un budget inférieur en euros à celui de son voisin d’outre-Rhin, a une bien meilleure efficacité de sa dépense publique par la palette des opérations qu’il est capable de conduire et des capacités qu’il déploie, du nucléaire au conventionnel.
Ils permettent de faire comprendre où sont les priorités du pays et en contrepoint de souligner la fragilité de la situation actuelle et des succès militaires dont la pérennité n’est pas assurée.
La Revue va dessiner ces évolutions et participer au débat grâce à vous. En confirmant votre soutien et vos abonnements vous y contribuez au premier chef. Je vous remercie de votre confiance.
Bonne et heureuse année 2015.