La possession de l'arme nucléaire doit s'accompagner d'une doctrine crédible. Certains États proliférants comme le Pakistan ou la Corée du Nord ont d'abord développé la bombe par riposte, quitte à prendre un vrai risque par manque de réflexion stratégique.
Doctrines nucléaires : spécificités du Pakistan et de la Corée du Nord
Nuclear Doctrines: the Specifics of Pakistan and North Korea
The possession of nuclear armaments must be accompanied by a credible doctrine. Certain proliferate states such as Pakistan or North Korea first developed the bomb as a response, at the risk of such a strategy.
Ce que l’on appelle la dissuasion nucléaire ne se limite pas au fait de posséder des armes et de pouvoir les acheminer par des moyens balistiques ou aéroportés : il faut articuler cette possession avec un discours explicatif de circonstances pouvant conduire à y recourir, qui équilibre détermination et sens de la mesure (1) et que l’on appelle une doctrine. D’une manière générale, les doctrines adressent au plan international une mise en garde de type utilitariste : il y a infiniment plus à perdre qu’à espérer gagner en attaquant celui qui dispose de la bombe, de sorte que l’affrontement armé se trouve banni par avance afin de privilégier une approche dialoguée et négociée des différends. Une doctrine se doit donc aussi d’être claire tout en évitant une exhaustivité qui en compromettrait la souplesse (2), ce qui en fait un exercice délicat et lui confère une importance aiguë dans les relations internationales. Cependant, on constate parmi les pays les plus récemment dotés l’absence de formulation explicite d’une doctrine. Si l’on pouvait dans un premier temps s’en inquiéter, l’y associant à un défaut de rationalité qui ferait douter qu’ils partagent bien les mêmes règles que les autres, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas d’éléments de doctrine : qu’est-ce qui motive, dès lors, leur absence d’officialisation ? Le Pakistan et la Corée du Nord sont dans cette situation, que nous allons essayer d’éclairer.
Le Pakistan
La résolution pakistanaise à se doter de l’arme nucléaire illustre parfaitement le phénomène de linkage (3), ou comment plusieurs événements distincts finissent, dans un effet d’entraînement comparable à une chute de dominos, par prendre sens pour aboutir à une décision stratégique. Comme le relate Bruno Tertrais, la guerre de 1962 avec la Chine pour les territoires de l’Aksai Chin et la défaite qui s’en est suivie, puis l’explosion de la première bombe atomique chinoise deux ans plus tard, ont convaincu l’Inde de s’en doter elle aussi. Inspirée par la rivalité stratégique avec Pékin, l’acquisition de l’arme nucléaire par New Delhi représentait une asymétrie intolérable pour le Pakistan – d’autant plus à l’issue d’une année 1971 marquée par une défaite face à l’Inde et la sécession du Bangladesh – comme le résume assez emphatiquement une formule restée célèbre de Zulfiqar Ali Bhutto : « Si l’Inde fabrique la Bombe, nous sommes prêts à manger de l’herbe ou des feuilles d’arbres, et même à connaître la famine, mais nous aurons aussi la nôtre ». L’entreprise aboutira avec la campagne d’essais de 1998 (4), ouvrant la voie à la constitution d’un arsenal dont la tendance récente est à l’augmentation (5).
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