Le livre noir du nucléaire militaire
Le livre noir du nucléaire militaire
Jacques Villain, membre de l’Académie de l’Air et de l’Espace, est depuis de nombreuses années un expert reconnu de la conquête spatiale et des questions nucléaires, les deux étant très liées. Ses livres font autorité. Il en est ainsi de cet ouvrage consacré à la face cachée du nucléaire militaire, avec ses accidents et ses catastrophes longtemps occultés. Malgré une certaine opacité et des restrictions sur l’information, l’auteur a réussi à obtenir de nombreux détails, grâce à un travail méticuleux, sur tous les échecs et drames qui ont marqué l’histoire de la dissuasion depuis 1940.
En retraçant les incidents nucléaires qui ont émaillé ces décennies, ce livre permet de mieux comprendre les enjeux qui ont poussé à une intense course aux armements, audelà du bon sens, durant la guerre froide provoquée par l’affrontement entre les États-Unis et l’Union soviétique. Les faits relatés sont dramatiques car ils ont souvent entraîné la mort soit par imprudence, laxisme, manque de rigueur, soit par esprit de sacrifice, notamment dans les sous-marins russes, où certains accidents furent réglés parce que des hommes prirent le risque d’intervenir au péril de leur vie, à l’exemple du K19.
De plus, la mise en place de la culture de la sécurité a été longue, en particulier chez les Soviétiques peu regardants sur cet aspect. Les accidents ont été nombreux, spectaculaires et meurtriers, et les conséquences écologiques se font encore sentir. Le récit des expériences fait froid dans le dos, tant le mépris pour la vie et les négligences accumulées ont causé des dégâts irréversibles et des pertes humaines importantes. La pression du système soviétique a conduit à des catastrophes majeures qui sont restées longtemps confidentielles. La Russie d’aujourd’hui doit encore gérer un héritage toxique encombrant.
Les États-Unis, première puissance nucléaire, ont aussi connu leurs lots d’accidents, avec certains médiatisés comme en 1966 à Palomeros, sur les côtes espagnoles, où il fallut rassurer l’opinion publique. Il y eut aussi des explosions de missiles dans leurs silos ou encore des crashs de bombardiers à capacité nucléaire. Deux SNA furent aussi perdus en mer. De plus, les Américains n’eurent de cesse de vouloir conserver une avance technologique sur les Soviétiques, au prix d’une accumulation quantitative et qualitative insensée de plusieurs milliers de têtes nucléaires. Cette course aux armements a aussi épuisé l’économie dirigée de l’URSS, aboutissant d’ailleurs à son effondrement à la fin des années 1980 et à la disparition du régime soviétique en décembre 1991.
La France a aussi connu des déboires, notamment lors de ses premiers essais au Sahara, mais malgré tout à des degrés moindres en raison, d’une part de moyens plus réduits obligeant dès le début à optimiser les équipements et, d’autre part grâce à une culture de la sécurité bien plus importante, contrairement à ce que peuvent affirmer certains antinucléaires. Certes, les normes ont évolué et les pratiques des années 1960 ont été bannies depuis longtemps. Depuis 1964, avec les Forces aériennes stratégiques, la dissuasion française est devenue une réalité et la permanence de la dissuasion à la mer avec les SNLE est effective depuis 1971 sans interruption.
La question de la prolifération est également abordée avec tous les excès qui eurent lieu et la France y a contribué au Moyen-Orient en y exportant, un peu imprudemment, ses technologies nucléaires. Aujourd’hui, le TNP et les dispositifs antiprolifération ont été relativement efficaces, même si l’Iran est au seuil nucléaire. Il est dommage que l’auteur n’ait pas traité davantage du nucléaire militaire dans les pays candidats à la bombe et en Chine. Il est évident que des incidents majeurs ont dû y avoir lieu tant la course à l’atome a été structurante pour Pékin, avec l’appui de Moscou, du moins au début.
Cet ouvrage reste passionnant et permet de mieux comprendre d’un côté les risques du nucléaire militaire par son histoire et de l’autre, les enjeux à venir, notamment face à la prolifération NRBC-E. Une certitude cependant, on ne désinventera pas le nucléaire. ♦