La stratégie du gagneur
Pour Jean-Pierre Olsem, le terme d’économie de marché est vague et « parfaitement ambigu ». Les prix ne sauraient être « raisonnables », ni immuables. Ils s’établissent à la suite d’un « tâtonnement collectif », mécanisme qui ne peut fonctionner correctement que dans les conditions de concurrence. Toute autre forme est « désastreuse » et conduit, sous prétexte de cohérence avec telle ou telle doctrine politique, à escamoter les réalités économiques. Donc, sans concurrence point de salut ; mais la voie pour y parvenir est malaisée, les obstacles et les rigidités abondent. Voilà le message que nous avons retenu, si nous avons bien compris. Cette réserve ne signifie pas que le livre est obscur, mais il est si dense que le lecteur non spécialisé peut toujours craindre d’en dénaturer le contenu et de privilégier le détail au détriment de l’essentiel.
C’est en effet un véritable cours sur l’entreprise que livre l’auteur, à la fois théoricien – ne dédaignant pas les allusions historiques ni le renvoi à la « dialectique hégélienne » – et praticien accumulant des exemples précis puisés auprès de toutes les grandes sociétés mondiales parmi lesquelles il semble être parfaitement introduit. Il en décrit en tout cas le fonctionnement avec aisance, jusqu’à l’anecdote permettant d’illustrer son propos.
En tant que béotien, il faut convenir que nous avons trouvé quelques passages ardus, certains tableaux hermétiques (comme celui des « principales implications de la culture d’entreprise », p. 202) et certaines distinctions trop subtiles pour notre entendement (comme celle qui intervient entre « les pratiques réellement validées par l’expérience et celles qui paraissent l’être », p. 210). Nous avons en revanche la plupart du temps parfaitement suivi l’exposé, en appréciant tout particulièrement la seconde partie du chapitre II « le contenu de la politique de concurrence élargie », la totalité du chapitre VII sur « les nouvelles exigences de la compétitivité » ou encore la description au chapitre VIII de la « culture d’entreprise ». Il y a là beaucoup à apprendre et à retenir, tant sur le quotidien des pratiques commerciales que sur le concept de qualité totale tel qu’il est vécu dans l’entreprise ou sur le dosage entre soft et hard apte à combiner unité et efficacité.
Rien d’étonnant sur un tel sujet à ce que le regard se tourne vers le Soleil levant. En fait, M. Olsem, après une première partie plutôt pédagogique, et avant de s’interroger sur les perspectives des années 1990, consacre trois chapitres centraux à la réalisation de l’ordre concurrentiel au Japon (référence fréquente, mais non exclusive), aux États-Unis et dans l’Union européenne (UE). Le lecteur découvrira ainsi le monde des keiretsus horizontaux (l’annexe 13 donne le vertige !), une analyse fort instructive de l’accord de libre-échange nord-américain (Aléna) et du bilan qui en résulte pour chacun des trois intéressés, ou enfin les avantages que procure dans plusieurs secteurs l’effet de proximité parmi les partenaires européens.
Une seule attitude pour l’entreprise : « être meilleure que ses concurrents et non chercher à réduire la concurrence » ; rencontrer dans cette voie « l’égalité des chances et la compétition loyale » ; ne pas rester prisonnier des structures du moment (« le manager respecte, le leader conteste »), mais rester modéré dans la diversification et ne pas sous-estimer la rigidité de la demande.
Cet ouvrage solidement documenté et argumenté, tourné vers l’actualité, illustré en toute occasion par des cas concrets pertinents, mérite sans doute une relecture après prise de contact d’ensemble, pour bien assimiler la richesse et la variété d’une étude qui n’a rien d’un roman. Il semble pouvoir être utilisé à deux niveaux : initiation pour le profane frappé de respect par tant de science ; guide pour l’économiste, l’étudiant et l’entrepreneur. ♦